Droit

L’Alsace et la Moselle, lanterne rouge dans la mise à disposition d’outils numériques au service des associations

Aujourd’hui, si vous voulez créer une association, modifier les données juridiques relatives à votre association, connaître des informations légales concernant une association, dans la France « de l’intérieur », en Allemagne, au Luxembourg, en Autriche, un peu partout en Europe, c’est simple : vous allez sur internet. Vous déclarez en ligne votre association, vous modifiez en ligne les mentions relatives à votre association et vous pouvez accéder de façon numérique à un fichier national des associations avec toutes sortes d’informations utiles.

Partout, sauf en Alsace et Moselle ! Chez nous, quand vous voulez créer une association, vous devez vous déplacer au tribunal du siège de votre association. Même chose si vous voulez consulter le dossier d’une association. Quant à un fichier d’ensemble des associations d’Alsace et de Moselle, ca n’existe pas ! Il existe, certes, un fichier national des associations, le « Répertoire National des Associations », mais les associations d’Alsace et de Moselle n’en font pas partie. Il existe aussi sur « Service-Public.fr » une procédure simple et facile pour créer une association par internet, mais elle ne s’applique pas aux associations d’Alsace et de Moselle. Celles-ci sont peut-être les dernières en Europe à ne pas bénéficier de ces facilités numériques ! Il y a quelques mois, on a appris que des associations de droit local se voyaient refuser par facebook le droit de collecter des dons, car elles ne sont pas répertoriées au registre national des associations. Certaines associations envisagent face à de telles difficultés de déplacer leur siège social hors d’Alsace-Moselle.

Depuis plus de 20 ans, l’Institut du Droit Local signale ce problème et demande que soit créé un registre des associations d’Alsace-Moselle, informatisé, unifié et accessible par internet. En vain. De nombreux parlementaires sont intervenus au niveau ministériel pour demander que cette lacune soit comblée. En vain. En 2019, on a adopté une loi modifiant les missions de l’EPELFI (l’établissement publie pour l’informatisation du livre foncier, sous tutelle du ministère de la justice) pour les étendre à la modernisation, la numérisation et l’exploitation du registre unifié des associations de droit local. Mais alors que dans ce cadre les études ont été réalisées pour la conception d’un tel registre avec des services en ligne, la réalisation concrète parait en panne.

Lors du débat au Sénat (séance du 4 avril) sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, la représentante du Gouvernement, Madame Marlène Schiappa, prenant position sur un amendement visant à fournir, en tant que de besoin, les bases légales nécessaires, ainsi qu’à manifester l’urgence du règlement de cette question, a donné un avis défavorable, prétextant des études insuffisantes et de problèmes de protection de données personnelles, arguments absolument irrecevables, le sujet étant parfaitement connu et les difficultés aisées à résoudre. Lors de son audition par la commission des lois du Sénat, le ministre de la Justice, Monsieur Eric Dupond-Moretti, n’a pas apporté de réponse aux retards de l’informatisation.

Une telle carence, alors que les problèmes juridiques et techniques sont parfaitement maitrisés, tant pour les associations de la loi de 1901que pour les associations du code civil allemand (le droit local des associations réside dans le maintien en vigueur des dispositions du code civil allemand relatives aux associations dans sa version de 1918) est incompréhensible. Veut-on décourager les habitants d’Alsace et de Moselle, afin que, de guerre lasse, ils demandent d’eux même l’extension à leur territoire du système des associations de la loi de 1901, lesquelles bénéficient, elles, de services numériques performants? A une époque où l’on invoque à tout bout de champ le principe de non discrimination, voilà une discrimination qui ne semble pas déranger le Gouvernement. Celui-ci veut soumettre au Parlement un projet de loi « 4D » prenant en compte les spécificités locales. ce serait une excellente occasion de mettre en œuvre la différenciation territoriale et de donner enfin aux associations d’Alsace et de Moselle les mêmes outils numériques qu’ailleurs en France et en Europe.

Jean-Marie Woehrling

Président de l’Institut du Droit Local alsacien-mosellan

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L’Alsace et le Tyrol du Sud sur la table de dissection

Anna Wolf, originaire du Tyrol du Sud (aussi appelé province autonome de Bolzane-Haut Adige), jeune diplômée en droit à Innsbruck et à Strasbourg, est l’auteure d’une analyse comparée des politiques linguistiques française et italienne intitulée « Pluralité linguistique et principe d’égalité ».

Présentée en langue française à l’Université d’Innsbruck en Autriche, la thèse a valu à Anna Wolf la mention « excellent» (sehr gut).

L’allemand langue administrative à l’égal de l’italien

Ce travail universitaire est mené avec une rigueur méthodique exemplaire et prend en compte les contextes historiques de la France et de l’Italie qui ont conduit ces deux pays à appréhender et « traiter » les situations linguistiques minoritaires que les événements historiques ont installé dans ces deux pays. L’ »Alsace-Lorraine » (les départements du Rhin et de la Moselle) devenue française et le Tyrol du Sud devenu italien en 1918, essentiellement germanophones, intégrés l’une et l’autre dans un ensemble linguistique différent, se présentaient comme les exemples privilégiés à étudier.

Une partie importante du travail étudie les principes de droit constitutionnel auxquels les deux Etats ont eu recours pour se positionner quant à la pluralité linguistique de leurs territoires.

On constate ainsi que l’Italie comportant en son sein diverses minorités dès son unification a adopté une attitude globalement libérale envers la question linguistique, tant que le régime ne s’était pas raidi sous le régime fasciste. Après la guerre, les minorités linguistiques trouvent une place dans la Constitution, notamment sous l’influence du droit international d’après-guerre – à différence de la France, qui ne dédiera un article de sa Constitution aux langues régionales qu’en 2008 et cela sous le seul angle de la protection patrimoniale.

Si la France se raidit devant le Charte européenne des langues régionales et minoritaires, en se heurtant au principe du français, langue de la République, le Tyrol du Sud obtient pour la langue allemande le statut de langue administrative à l’égal de l’italien – grâce au célèbre accord bilatéral entre l’Italie et l’Autriche de 1946 et après des longues revendications.

Comment faire évoluer la protection des minorités linguistiques

Ainsi, à partir d’une interrogation « sur l’affrontement idéologique entre d’un côté un état linguistiquement « homogène » , à travers le postulat d’un principe d’égalité absolu et universel, et de l’autre côté la diversité linguistique et culturelle qui caractérise la réalité humaine », le travail se termine par une présentation des perspectives futures guidées par la question : « Comment faire évoluer la protection des minorités linguistiques en Italie , en France et en Europe, en s’inspirant d’un concept d’égalité linguistique ».

Cette thèse est particulièrement bienvenue au moment où le Conseil constitutionnel met sur le gril une loi qui cherchait à ouvrir l’horizon pour les langues régionales. Anna Wolf présentera son travail en conférence dès son retour à Strasbourg au mois de septembre.

Ernest Winstein

Au-delà du Concordat, esquisse d’une voie nouvelle autonome

« Qu’on accorde à ce peuple tout ce qu’il lui plaît de demander. Qu’on lui laisse sa langue, ses écoles, ce statut religieux auquel il s’attache peut-être à tort ».

                                                                              Frédéric Hoffet, Psychanalyse de l’Alsace

Philosophie

Entre un régime concordataire, qui allie les Églises et l’État, et une laïcité « à la française », qui les sépare, il y a, au-delà des aspects sociaux, une différence fondamentale d’esprit ou de sens. Deux conceptions opposées de la religion et de son avenir. La philosophie implicite du Concordat reconnaît dans les religions une composante essentielle de la civilisation ou, plus franchement, si vous voulez, un outil indispensable de la cohésion sociale, de l’ordre moral et public. Comme telun outil institutionnel d’intérêt général. La vertu de la religion, sa fonction, est de former les consciences et de discipliner les mœurs, d’encadrer tout particulièrement la vie familiale, donc l’éducation des parents et des enfants. Foi en une « éducation religieuse de l’humanité ». Conviction de sa nécessité.

Pour tous ces services d’intérêt général que rendent dans nos nations européennes les membres du clergé, prêtres, pasteurs, rabbins et, demain, imams, il est normal qu’ils soient fonctionnarisés, au même titre que les enseignants, les éducateurs, les animateurs culturels, et convenablement rétribués, de sorte qu’ils puissent se consacrer pleinement à leur mission. Les fonctionnaires, dûment formés, ont des droits et des devoirs précis qu’il faut expressément  rappeler à chacun et faire approuver par serment. Le Concordat accorde des garanties et des privilèges à la religion et à son clergé, il établit la légitimité des Églises, mais c’est l’État qui a la main, qui domine et autorise, c’est lui qui contient (dans les deux sens du mot) la religion, et non l’inverse, non la réciproque. Vues sous cet angle, les postulations du Concordat (1801) et les lois françaises de la laïcité (1905) ne s’opposent pas. L’une et l’autre non seulement établissent soigneusement une séparation des deux ordres, l’ordre religieux et l’ordre politique, mais placent le gouvernement des églises (ou communautés religieuses) sous le contrôle du gouvernement politique ou de la puissance « supérieure » de l’Etat (qu’il soit de forme républicaine ou monarchique).

Les évêques, ainsi que les présidents des Consistoires protestants, sont formellement nommés par des instances au sommet de l’État et naguère ils prêtaient un serment de fidélité au gouvernement. L’administration extérieure des cultes relève en France du ministère de l’intérieur. Chose révélatrice, qui étonne toujours ceux qui ne connaissent pas bien l’histoire.

Histoire

Rattachée à l’empire allemand en 1871, l’Alsace garda cependant le régime concordataire, tel qu’il fut conçu et institué en 1801 par Napoléon Bonaparte à la suite de négociations tendues avec le pape, et elle échappa ainsi aux lois françaises de la laïcité promulguées en 1905 par la République. La philosophie sous-jacente, non affichée, de ces lois est singulière et toute autre que celle du Concordat. La religion n’est plus comprise comme un soubassement de la civilisation, mais comme une superstructure, vestige, survivance des temps anciens, du « moyen âge », veut-on croire, ou d’un âge théologique de l’humanité qui déjà s’effacerait pour faire place à un âge positif animé et éclairé par la science. Article premier de la loi : la République assure la liberté de conscience et elle met à égalité croyance religieuse et incroyance. Certes, elle garantit le libre exercice des cultes, mais n’en reconnaît et n’en subventionne aucun. Ou, ambiguïté, soit dit dans l’autre sens : elle ne reconnaît aucun culte, mais garantit le libre exercice de tous. Les ambiguïtés du texte de loi, d’un article à l’autre, trahissent l’embarras des législateurs, obligés, malgré leurs convictions, de tenir compte de la réalité sociale des religions et ne pouvant pas les refouler et les enfermer dans la seule sphère privée. Mais c’est bien, à part eux, sur un dépérissement de la religion à moyen terme qu’ils tablent, on le sent, la laïcité est le masque poli, politique, de l’athéisme – ou de ce positivisme hérité d’Auguste Comte, constitutif de l’idéologie française. Ce qu’ils concèdent aux formes existantes de la vie religieuse n’est dans leur esprit que transitoire tolérance.

Après la Grande Guerre, quand l’Alsace retourne à la France et que le président radical-socialiste du gouvernement, Edouard Herriot, veut mettre l’Alsace et la Moselle au pas de la laïcité, 21 députés alsaciens lorrains, sur 24, protestent énergiquement, et 675 conseils municipaux sur 943. A Strasbourg, place Kléber, 50 000 personnes manifestent. (Nous n’étions que 10 000 le 11 octobre 2014, Place de Bordeaux.) Le gouvernement radical-socialiste fit marche arrière.

La Constitution de la IVe République, en 1946, réaffirme le principe de laïcité et l’applique dans les établissements scolaires. En 1958, la laïcité est gravée dans la Constitution de la Ve République. Article 2 : « La France est une république laïque. » Mais l’Alsace, malgré tout, conserve « son » Concordat. Une épine dans le pied des divers groupements jacobins, laïques intégraux.

Politique

Régulièrement, « l’anomalie » alsacienne est dénoncée, menacée. Tremblement dans le pays. Que va-t-il rester de notre Droit local dans la région Grand Est ? Et puis, non moins régulièrement, un ministre de la République, le ministre de l’intérieur, ou le président du Sénat lui-même, viennent tranquilliser les Alsaciens, les féliciter, les flatter, leur tenant à peu près ce langage : Vous n’avez rien à craindre, vous nous offrez même, avec le Concordat, un exemple de cohabitation des religions et d’instauration d’un dialogue interreligieux que la France de l’intérieur, comme vous dites si bien, va méditer. Elle pourra s’inspirer à l’avenir de certaines de vos dispositions bienveillantes. Loin d’être menacé, votre Concordat se trouvera renforcé et nous aidera à amender les lois de la laïcité de 1905. Donc, tranquillisez-vous, chers Alsaciens, et votez conservateur.

Ce petit jeu tactique de menaces, d’un côté, et de réassurances et flatteries, de l’autre, se répète depuis des décennies et… bloque toute évolution. Dans la situation où on les met ainsi, les Alsaciens sont poussés à se crisper sur l’acquis et à s’estimer « encore heureux » qu’on leur laisse ce qu’ils ont. Ils s’accrochent au Concordat et plus largement au « Droit local » comme à un symbole, comme à une marque de leur identité, et non vraiment comme à une réalité dont la jouissance leur serait vitale et qu’il leur appartiendrait de faire évoluer.

Soyons francs, en la forme qu’il a gardée, en l’apparence qu’il a prise, le Concordat indiffère le gros de la population ; il se résume aux privilèges dont bénéficie le clergé des trois religions officielles reconnues. Aussi sa cause est-elle devenue discutable, difficile à défendre. La plupart de ses dispositions ne correspondent plus aux réalités religieuses et sociales de l’heure, à ce que les gens vivent. La religion ne réussit plus et ne sert plus à structurer les mœurs, à brider la sexualité, par exemple, et à soumettre le peuple à une autorité spirituelle, complice du pouvoir temporel. Il paraît incongru que les affaires de la religion continuent à relever du ministre de l’intérieur, que celui-ci, et non le ministre de la culture, soit le « ministre des cultes ». Et on peut comprendre que les « incroyants » ou les agnostiques jugent insupportable que la rémunération du clergé alsacien – et mosellan – soit à la charge de l’État, donc de tous les Français. Les militants de la laïcité ont donc beau jeu de s’indigner, de dénoncer ces privilèges et de souligner qu’ils contreviennent au principe républicain de l’égalité des territoires.

Prospective

Une solution possible, déjà adoptée dans de nombreux pays, serait le prélèvement d’un « impôt d’église » que payent ceux qui veulent bénéficier des « prestations » d’une église, ne serait-ce que dans les grandes occasions, baptême, mariage, obsèques, ou encore ceux qui sans croire peut-être se sentent solidaires des religions et disposés à soutenir leurs actions sociales, éducatives et culturelles. Une région comme l’Alsace, dont la philosophie et la tradition ne sont pas celles de la laïcité à la mode française, devrait avoir la possibilité, le pouvoir, de procéder en la matière comme elle l’entendrait, comme elle en aurait décidé démocratiquement. Imaginez cela, pensez à ce que cela implique : une certaine autonomie, évidemment, de larges compétences générales, le pouvoir exécutif de lever soi-même des impôts spécifiques. Intolérable. Impossible. Impossible est français. Jamais la France ne permettra… « La France n’est pas un pays fédéral », la France est une « nation indivisible », mêmes lois, mêmes pratiques, même et unique langue partout, même culture. La France n’est pas un pays multiculturel. Il ne faudrait rien moins qu’un effondrement, une implosion de la Ve République, une révolution… le chaos. Jamais ! Il y a des révolutions de velours…

Pour autant, si nous pensons, contrairement à l’esprit particulier de la laïcité à la mode française, que les religions sous des formes diverses sont des réalités anthropologiques inaliénables, qu’elles font partie de la vie intérieure et de la vie sociale des hommes, il paraît bon qu’elles soient protégées par l’État et que celui-ci, instance dominante et responsable, favorise leur pratique et, comme généralement elles sont plusieurs et rivales, veille à leur coexistence pacifique. Les religions produisent des biens, spirituels et psychiques, de la morale, de la consolation, de la santé mentale, sinon des névroses, diront les esprits forts, admettons les deux, admettons, bien que ce soit invérifiable, qu’elles produisent plus de santé que de névroses, plus de joie que de tourments, qu’elles produisent des liens, de la communauté, et qu’elles font baisser le taux de solitude. Comme tel, ce fonctionnement des religions demande un personnel (un « clergé ») formé, compétent, et il a un coût. La profession de curé ou de pasteur n’est pas dans nos sociétés une profession libérale. Est-ce à la collectivité entière, moyennant l’administration de l’État, de financer ce coût, comme le stipule le Concordat napoléonien, ou est-ce seulement aux croyants déclarés qui bénéficient ou peuvent bénéficier des services produits ? Dans les sociétés modernes, où les incroyants sont nombreux et légitimes, la solution la plus équitable, adoptée dans de nombreux pays, est le prélèvement d’un « impôt d’église » que payent ceux qui veulent, en toute connaissance de cause.

Jean-Paul Sorg

Le régime alsacien-mosellan des cultes : de quoi s’agit-il ?

On entend souvent dans la presse ou dans des déclarations publiques que telle personnalité ou groupement veut « supprimer le Concordat » et que d’autres y sont attachés et veulent le conserver. Mais de quoi parlent-ils ? La présente note vise à fournir à l’intention des non spécialistes une présentation synthétique de ce régime juridique local.

Par « Concordat » est désigné improprement l’ensemble du droit local des cultes applicable en Alsace et Moselle, dont le Concordat proprement dit, c’est-à-dire la Convention conclue en 1802 entre Napoléon et le Pape, ne représente qu’un aspect.  Il parait nécessaire de préciser en quoi consiste ce droit particulier et quels sont les éléments qui permettent de porter une appréciation à son sujet.

Le droit local des cultes est constitué par des « strates successives » de textes. Si les plus anciennes remontent au début du  XIXe siècle, d’autres sont récentes. De plus, ces dispositions ont fait l’objet d’interprétations et d’applications évolutives en fonction du contexte juridique, politique et social. Aussi, même si certains textes sont restés figés, le droit local des cultes d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de 1802, ni même celui de 1918. La signification de ce régime local des cultes a donc radicalement changé au fil des décennies tout en restant fortement enraciné dans l’histoire et les traditions régionales.

Par ailleurs, ce droit local prend place dans un cadre plus vaste (droit constitutionnel, droit européen) qui fixe des principes communs et notamment la liberté de conviction (religieuse ou non religieuse) et la neutralité de l’Etat en matière de convictions, ainsi que le droit de tous les citoyens à l’égalité quelles que soient leurs convictions religieuses. Ces principes s’appliquent pleinement en Alsace et Moselle.

I. Ce qu’est le régime local des cultes

Ce qu’on appelle droit local des cultes est aujourd’hui un droit national d’application territoriale. Ceci signifie que, bien qu’applicable seulement à certaines parties du territoire, les autorités régionales ou locales concernées n’ont pas de compétences juridiques pour le modifier. La compétence pour le maintenir, l’abroger ou le modifier appartient pour l’essentiel aux seules autorités «centrales »  (le Parlement ou le Gouvernement).

Ce droit local a deux composantes :  

  1. des règles juridiques particulières aux trois départements de l’Est applicables à toutes les convictions religieuses.

Il s’agit en particulier de la non application en Alsace Moselle de la loi du 9 décembre 1905 dite de « séparation de l’Etat et de l’Eglise ».  Cette loi limite le financement public des cultes.  En Alsace-Moselle, tous les cultes peuvent bénéficier d’un financement public, si cela correspond à l’intérêt public, et trouvent dans le droit local des associations un cadre juridique favorable, leur apportant une pleine capacité juridique, et leur permettant de recevoir des subventions, des dons ou des legs.  

En outre, en Alsace-Moselle, la loi scolaire prévoit dans toutes les écoles un enseignement de religion compris aujourd’hui comme un enseignement de connaissances et culture religieuses. Depuis quelques décennies, cet enseignement est assuré par des intervenants délégués par les différents cultes et agréés par l’éducation nationale. De fait (mais non de droit), seuls les cultes catholique et protestants (et dans une moindre mesure le culte israélite) fournissent de tels intervenants ayant reçu une formation appropriée. Les parents peuvent en dispenser leurs enfants ce qui est de plus en plus fréquent.

Une formation universitaire des responsables religieux est proposée dans les universités de Strasbourg et Metz, principalement à travers l’existence de facultés de théologie catholique et protestante. Rien ne s’oppose en droit à ce que des formations universitaires concernent aussi en  Alsace et Moselle d’autres religions.

Le droit local des associations ne connaît pas le système des « associations cultuelles » résultant de la loi susmentionnée de 1905. En Alsace et Moselle, les associations à objet religieux ont, comme les autres associations de droit local, une pleine capacité juridique et le droit de recevoir des subventions publiques.

Il subsiste diverse autres spécificités comme la possibilité d’organiser les cimetières publics selon des critères confessionnels. Un cimetière musulman a été créé récemment à Strasbourg.

  • des règles particulières aux trois départements de l’Est relatives à certains cultes : les « cultes statutaires »

Certains cultes bénéficient de statuts particuliers, d’où l’expression de « cultes statutaires » (préférable à celle impropre de « cultes reconnus » ou  « concordataires »). Les statuts en question sont organisés par des textes distincts selon les organisations cultuelles concernées : culte catholique, cultes luthérien et réformé, culte israélite. Plusieurs dispositions sont communes à tous les cultes statutaires.  Ces textes organisent en particulier une rémunération par l’Etat d’un certain nombre de ministres du culte et un contrôle de l’Etat sur ce personnel et sur le fonctionnement de ces cultes.

Les principaux textes applicables aux cultes statutaires datent du xixe siècle. Ils sont aujourd’hui appliqués dans un esprit tout différent de celui de l’époque de leur adoption. Ces textes historiques sont comme des arrangements anciens passés entre des partenaires qui se connaissent depuis longtemps et qui s’en satisfont de part et d’autre, mais qui ne sauraient être appliqués tels quels à d’autres cultes compte tenu de cette épaisseur historique.

Il est possible d’en dégager une sorte de philosophie globale des « cultes statutaires ». La logique de ces statuts particuliers est celle d’accords conclus entre les pouvoirs publics et chacun des cultes concernés, même si seul le culte catholique a passé avec l’État une convention en bonne et due forme (le Concordat). L’esprit de ces accords consiste pour les cultes à offrir un certain nombre de garanties et de services, et pour l’État de leur consentir diverses facilités qui vont au-delà de ce qu’exige le principe de liberté de religion. En particulier, l’État reconnaît (implicitement) la fonction sociale et culturelle des cultes en cause (contribution à la paix publique, à la cohésion sociale, à l’éducation morale, à l’esprit de solidarité, à la transmission du patrimoine culturel commun, etc.) ; il leur attribue en conséquence des moyens juridiques, institutionnels et financiers ; il assure la participation de ces cultes à certaines activités publiques et leur présence dans la vie publique. En contrepartie, il dispose de garanties quant à la compatibilité des enseignements de ces cultes avec ses propres objectifs et valeurs ; il bénéficie de moyens de dialogue et de contrôle grâce à la constitution d’institutions cultuelles transparentes et responsables. Il participe à la nomination des principaux responsables religieux.

Les deux partenaires, Etat et culte statutaire, tirent avantage de ces arrangements réciproques. Ainsi, l’Etat ne donne pas de l’argent pour favoriser tel ou tel culte : il apporte un financement dans l’intérêt public. C’est uniquement parce qu’il existe un intérêt public que le financement du culte est légitime.

Par ailleurs, ces statuts sont particuliers à chaque organisation religieuse, à son histoire et à ses spécificités. Ils ne sont donc pas identiques, ce qui pourrait donner l’impression que le principe d’égalité n’est pas respecté. Cependant,  il est reconnu que le principe d’égalité bien compris consiste non pas à traiter tous de manière identique mais chacun en fonction de sa situation propre.

II. Eléments d’appréciation

Les principales orientations du droit local des cultes sont partagées avec la plupart des pays européens et considérées comme souhaitables par beaucoup de personnes dans le reste de la France :

  • l’école doit veiller à la transmission d’un minimum de culture religieuse et de compréhension interreligieuse
  • les responsables religieux doivent pouvoir trouver une formation sérieuse à l’université  
  • l’Etat doit avoir une politique active de gestion des activités religieuses afin de garantir l’ordre et la cohésion ; à cette fin, il doit pouvoir exercer des contrôles et distribuer des aides dans un but d’intérêt public. 
  • Les institutions religieuses sont reconnues comme des corps intermédiaires légitimes et utiles dans la vie publique pour autant qu’elles sont loyales à l’égard des institutions publiques.

Le régime local des cultes comporte donc de nombreux aspects positifs et peut, malgré ses origines anciennes, apparaître comme pertinent pour la société actuelle. De plus, les populations des trois départements y sont dans l’ensemble attachées car les institutions religieuses ont joué un rôle important dans l’histoire de ces départements et dans l’affirmation de l’identité régionale. Durant le Reichsland, durant l’entre-deux-guerres et durant l’annexion nazie (la seule à avoir porté atteinte à ce statut), les institutions relieuses sont apparues comme une protection pour les populations locales. Le droit local des cultes a été la composante essentielle du droit local et en reste une expression emblématique. Le statut public des cultes est en symbiose avec une culture régionale qui met en valeur la dimension spirituelle et se reconnaît dans « l’humanisme rhénan ».

Mais l’évolution de ce droit, en vue de s’adapter efficacement au contexte actuel, est très difficile en raison de son caractère de droit « national »  relevant pour l’essentiel d’instances centrales, indifférentes, voire hostiles ou en tout cas peu disposées à le moderniser. La jurisprudence du Conseil constitutionnel. A encore réduit les marges d’évolution. Or, si la philosophie d’ensemble décrite ci-dessus mérite d’être conservée, des aménagements de textes seraient nécessaires; ils sont cependant lents et difficiles. Il en résulte une impression d’archaïsmes ou d’inadaptation.

Ceci concerne notamment la question de l’application de certains aspects de ce régime local à des croyances non traditionnellement présentes dans la région, bien qu’une bonne part du droit local des cultes profite d’ores déjà à ces  nouveaux cultes (subventions publiques, liberté d’association, etc.). Les spécialistes de ce domaine ont proposé des évolutions raisonnables notamment en matière d’enseignement religieux. Mais elles ne sont pas prises en compte.

De ce fait, ce droit particulier est de plus en plus fragilisé, au demeurant comme le reste du droit local.  Tant du point de vue de la démocratie régionale que de l’efficacité de la gestion, il est nécessaire que les Alsaciens et les Mosellans se voient reconnaître le droit de décider eux-mêmes de l’évolution de cet aspect de la vie collective régionale et qu’ils puissent en débattre  en pleine connaissance de cause.  Cependant, leurs responsables politiques ne semblent pas désireux de revendiquer une telle compétence. Celle-ci supposerait d’une part de se confronter à des tabous des institutions françaises : l’uniformité législative et la laïcité telle qu’exprimée par la loi de 1905. Elle impliquerait d’autre part de se doter d’outils de connaissance et de gestion des cultes qui restent insuffisamment développés.

Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local alsacien-mosellan

Mosquée de Strasbourg : ne déformons pas le droit local

Le contexte dans lequel se développe la discussion suscitée par la décision de la Ville de Strasbourg d’apporter un soutien financier à l’association religieuse Millî Görüş aboutit à une interprétation doublement erronée du droit local alsacien-mosellan en ce qui concerne le financement d’organisations cultuelles.

D’une part, certains commentateurs laissent entendre que les collectivités locales alsaciennes et mosellanes seraient « souveraines » pour décider de l’attribution de telles aides et, d’autre part, un journal parisien publie un avis selon lequel en Alsace et Moselle de telles subventions ne pourraient être attribuées qu’aux seuls cultes dits reconnus. Deux interprétations contradictoires également fausses.

Il n’existe dans le droit particulier d’Alsace et de Moselle aucune disposition régissant de façon générale l’attribution de subventions publiques à des institutions cultuelles. Ce droit local ne comporte que des dispositions rendant légalement obligatoire certaines formes de soutien financier à certains cultes, à savoir les cultes statutaires. Ces dispositions sont précises et d’interprétation stricte. On ne peut en déduire, et on n’en a jamais déduit, l’interdiction de faire bénéficier une institution cultuelle, statutaire ou non, d’autres formes d’avantages financiers. En dehors des règles légales définissant les aides dues aux cultes statutaires, les collectivités publiques d’Alsace et de Moselle ont de tout temps attribué des aides financières diverses à des cultes divers. Cette pratique n’a pas été censurée par le Conseil constitutionnel : dans sa décision du 21 février 2013, il n’a élevé aucune réserve à l’encontre d’aides financières à des organisations cultuelles en dehors du salariat de ministres du culte, seule modalité dont le développement se trouve limité par cette décision. Par conséquent, l’interdiction d’attribuer des subventions publiques à des organisations religieuses repose uniquement sur une loi de droit général, la loi du 9 décembre 1905, qui n’a pas été rendue applicable en Alsace et Moselle. C’est en raison de cette non-introduction que les collectivités publiques peuvent allouer, sans exclusion de principe, des aides financières à des organisations religieuses dans nos trois départements.

Mais une telle faculté ne signifie pas que des subventions aux cultes puissent être décidées de manière discrétionnaire. Toute dépense publique et donc aussi toute subvention doit être justifiée par un motif d’intérêt général. Ceci vaut aussi pour les subventions ayant un objet cultuel, comme l’a rappelé le tribunal administratif de Strasbourg. Faciliter les pratiques cultuelles peut présenter un caractère d’intérêt général du point de vue des autorités publiques dans la mesure où cela peut contribuer à l’ordre public, la paix sociale, la bonne intégration des populations concernées et au développement d’un rapport de confiance entre les autorités publiques et le mouvement culturel concerné. Pour chaque subvention publique demandée par une association religieuse, il revient à la collectivité publique de vérifier l’existence d’un intérêt général de ce type. Le souci de ne pas procéder à des discriminations a priori entre les cultes ne saurait écarter la nécessité d’un examen cas par cas pour déterminer si la condition d’intérêt public est satisfaite. Une délibération de collectivité territoriale ne saurait décider l’attribution systématique dans les mêmes conditions de subventions publiques d’ordre cultuel sans examen de chaque demande particulière pour vérifier qu’elle présente bien un intérêt public proportionné à la dépense envisagée. La collectivité qui octroie la subvention peut subordonner celle-ci à des conditions dès lorsque celles-ci sont en relation avec la garantie ou l’optimisation de l’intérêt public qui constitue la condition de la légalité de la subvention.

Au total, dans le système alsacien-mosellan de gestion des cultes, les collectivités publiques se voient dotées de pouvoirs élargis pour contribuer à la paix religieuse et au respect des attentes spirituelles de notre population. Il y a une continuité dans la philosophie qui inspire le régime des cultes statutaires (appelés parfois « concordataires ») et le souci de traitement équitable des nouveaux cultes. Ce fil conducteur, c’est le « donnant-donnant » : les collectivités publiques font un effort pour prendre en compte les attentes des organisations cultuelles, mais en échange elles attendent de ces dernières qu’elles fassent un effort pour répondre aux attentes des collectivités publiques.


Jean-Marie Woehrling
Président de l’Institut du droit Local alsacien-mosellan

La différenciation territoriale et le droit constitutionnel français

Jean-Marie Woerhling, président de l’institut du droit local, nous explique que le problème de la création d’un statut particulier ne pose pas de véritable problème juridique. C’est pour des raisons politiques et idéologiques que le gouvernement refuse de doter l’Alsace d’un véritable statut digne de ce nom.jean-marie-woehrling

Depuis une trentaine d’années, par un effet pervers de la décentralisation, les exigences de l’unité législative territoriale ont été accentuées en France.

Selon une approche traditionnelle, le législateur dispose des pouvoirs les plus larges dans l’organisation et la répartition des compétences sur le territoire français. Mais cette liberté a été progressivement limitée principalement en application du principe d’égalité :

  • égalité en matière d’organisation et de compétence des collectivités territoriales relevant d’une même « catégorie »
  • égalité dans l’exercice des droits et libertés des citoyens où qu’ils soient sur le territoire.

Le principe selon laquelle la loi doit être la même pour tous s’applique de manière de plus en plus rigoureuse sur le plan territorial et vient limiter :

– l’autonomie des collectivités locales : cette dernière ne peut aboutir à ce que des conditions essentielles dans l’exercice des libertés publiques varient selon les collectivités (celles-ci ne peuvent par exemple accorder librement des subventions à l’enseignement privé car cela affecte la liberté de l’enseignement) ;

– la différenciation des règles législatives au plan territorial (par exemple une application d’une règle particulière sur une partie du territoire national ; ainsi, les expérimentations législatives sont aujourd’hui conditionnées par des règles constitutionnelles).

Il existe cependant des possibilités de moduler le principe d’égalité : on peut s’écarter de la règle uniforme chaque fois qu’il existe pour cela des motifs d’intérêt général et des circonstances particulières. Mais le respect de ces conditions est en fin de compte apprécié par le Conseil constitutionnel qui décide si une différenciation territoriale, c’est-à-dire une règle particulière pour une collectivité ou pour un territoire est suffisamment justifiée par une circonstance locale ou un motif d’intérêt général.

Le débat actuel concernant l’Alsace permet d’illustrer ces difficultés. Le droit local alsacien-mosellan n’est pas regardé comme correspondant à des intérêts locaux justifiant l’évolution de ce droit : celui-ci ne peut que survivre ou disparaître. La création d’une collectivité territoriale Alsace à statut particulier est de même refusée car on ne reconnaît pas à celle-ci une situation spécifique justifiant des compétences originales. Une interprétation variable de l’intérêt général et des circonstances locales aboutit ainsi à refuser à l’Alsace en matière de langue régionale les mesures accordées à la Corse ou à l’Ile de France.

On invoque en permanence le principe d’égalité, mais on le méconnait de façon constante en pratique car l’Etat se permet des traitements différents selon les territoires. Ainsi l’enseignement immersif en langue régionale est appliqué par les écoles publiques dans certaines régions, mais pas dans d’autres.

Le Gouvernement prétend que la réforme constitutionnelle qu’il propose permettra de résoudre les rigidités actuelles. Ainsi, dit-on aux Alsaciens, qu’après cette réforme, ils pourront grâce au droit à la différenciation territoriale qu’elle institue, bénéficier des compétences qui leur sont actuellement refusées.

Cet argument est doublement fallacieux :

  • rien n’empêche actuellement de pratiquer la « différenciation territoriale » si l’on accepte de reconnaître un intérêt général ou une circonstance particulière qui justifie la mise en œuvre d’une règle particulière ;
  • si l’on refuse de reconnaître l’existence d’un intérêt général ou d’une circonstance particulière, même la réforme constitutionnelle prévue ne permet pas de règle particulière car celle-ci porterait atteinte au principe constitutionnel d’égalité ; d’ailleurs la proposition d’amendement constitutionnel proposé par le Gouvernement exclut toute différenciation territoriale dans les matières touchant à une liberté publique, notion interprétée de manière de pus en plus extensive.

En pratique, la réforme constitutionnelle proposée est à la fois inutile et inefficace. Il suffirait au Parlement de fonder des différenciations territoriales sur l’existence de situations particulières entendues de manières moins restrictives.

Le cas du projet de loi sur la Collectivité Alsace illustre bien que le problème n’est pas constitutionnel mais politique : l’exposé des motifs de ce projet de loi reconnaît clairement une situation spécifique à l’Alsace, qui justifierait d’attribuer à cette dernière des compétences spécifiques et donc un statut de collectivité à statut particulier. Mais le Gouvernement s’y refuse pour d’obscures raisons idéologiques et politiciennes.

Traité de l’Elysée

Le 22 janvier dernier, l’Assemblée nationale et le Bundestag ont adopté (dans une relative indifférence) une résolution demandant aux gouvernements français et allemand d’élaborer un nouvel accord d’amitié et de coopération destiné à actualiser le Traité de l’Élysée de 1963. Pour l’Alsace, ce texte pourrait prendre une importance particulière s’il est suivi d’effets ; il paraît donc utile de se livrer à une analyse précise d’un document qui devrait guider les discussions entre Paris et Berlin.

1. Considérant que…

Parmi les 24 « Considérant » de cette résolution, plusieurs concernent les régions frontalières dont l’Alsace (sans que celles-ci ne soient néanmoins expressément citées ou définies).

On le voit, la coopération transfrontalière est une thématique importante pour les parlementaires, à la fois parce qu’elle doit faciliter la vie des citoyens, et parce qu’elle illustre la volonté d’intégration européenne des deux pays. Mais derrière cette affirmation généreuse, les structures existantes (par exemple la Conférence du Rhin Supérieur qui rassemblent l’Alsace, le Palatinat et le Pays de Bade – ainsi que la Suisse du Nord-Ouest) – ne sont même pas cités. Dès lors, ces « considérant » sont surtout « des considérations »…

2. Et si on essayait vraiment ?

La coopération transfrontalière est un écheveau où s’entremêlent les compétences d’État et les entités infra-étatiques aux statuts extrêmement différents (Régions et Länder, collectivités territoriales) ; dans ce paysage morcelé (où les rivalités sont nombreuses), la résolution constitue un encouragement incitatif, mais ne représente ni engagements, ni promesses.

En France, il s’agit de questions qui relèvent très largement de la compétence de l’État. Pour être efficace, il faudrait que celui-ci se dote d’une agence de coopération dédiée ; ce qui paraît très problématique dans la mesure où l’État inscrit son action dans le cadre du Grand Est (dont seuls trois départements sur dix sont frontaliers de l’Allemagne). La mise en place d’une telle agence devrait associer l’État et les départements du Rhin et de la Moselle dans les domaines de compétence listés avec pertinence dans cette résolution, mais une telle décision « amputerait » sévèrement les missions du Grand Est.
A la lecture du texte, on peut même s’inquiéter : il existerait donc des entraves administratives au marché intérieur ? Pourtant, les États sont appelés à respecter la législation européenne ; faut-il donc vraiment une résolution pour cela ?

Le bilan actuel de l’Abibac (quelques centaines de baccalauréats binationaux obtenus tous les ans) montre, s’il en était besoin, que la politique menée par l’éducation nationale (en particulier dans les académies de Strasbourg et de Nancy-Metz) s’est révélée « peu performante ». Au-delà des discours du dimanche sur le bilinguise français-allemand que tiennent de nombreux élus, le résultat des dernières décennies d’enseignement monolinguistique apparaît clairement dans les statistiques pour l’emploi en Alsace.

Si on poursuit la « dissection » de la résolution, les « systèmes de propulsion alternatifs » sont certainement nécessaires pour faire avancer l’intégration régionale dans les vallées du Rhin, de la Sarre et de la Moselle. En cette période de carnaval, on pense évidemment à la bicyclette et à la voiture à pédales !

Conclusion

Le député du Bas-Rhin Sylvain Wasermann (MoDem) vient de se voir confier une mission auprès de la ministre chargée des Affaires européennes Nathalie Loiseau pour proposer des solutions permettant de faire de la coopération transfrontalière une composante majeure du nouveau « traité de l’Elysée ». Compte tenu du débat sur le Grand Est, il pourrait être amené à intégrer la dimension « alsacienne » dans sa réflexion sur le partenariat franco-allemand.

Pour sauver le régime local d’assurance maladie, changeons la constitution

par Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local. 5 avril 2016.

regimelocal

Depuis plusieurs dizaines d’années un processus de transformation de la protection santé est en cours en France : une part croissante de cette protection passe du régime légal de la sécurité sociale à un système conventionnel par des assurances privées. Cette évolution menée aussi bien par les gouvernements de gauche que de droite n’a jamais fait l’objet d’un débat clair soumis à l’appréciation des citoyens. Aujourd’hui c’est moins de 50% des dépenses de santé qui sont remboursés par la sécurité sociale, le reste étant couvert par des assurances complémentaires.

Cette évolution n’a eu lieu que de manière beaucoup plus limitée en Alsace à cause de l’existence du régime local d’assurance maladie grâce auquel la sécurité sociale couvre une plus grande part des dépenses de santé.

La principale différence entre le système des complémentaires et le système de l’assurance maladie est que les cotisations des premières sont basées sur le risque que présentent les assurés, alors que celles des secondes sont basées sur leur revenus. Le facteur solidarité est plus grand dans ce dernier cas.

Avec la loi du 14 juin 2013, les assurances complémentaires santé sont généralisées pour les salariés et doivent être prises en charge au moins pour 50 % par les employeurs. Le régime local de sécurité sociale est quant à lui couvert à 100% par les salariés. La loi de 2013 n’a pas précisé selon quelles modalités ce régime local devait être adapté à ce nouveau contexte.

Faut-il généraliser le système du reste de la France à l’Alsace Moselle,  y étendre le principe d’une participation de 50% des employeurs, ou laisser le régime local en l’état ?

On constate d’abord que de telles questions ne peuvent être décidées par les Alsaciens et les Mosellans, ni directement ni par des instances représentatives. Il n’y même pas de procédure de consultation organisée.

On  apprend ensuite que même le Parlement national pourrait ne pas être compétent pour prendre des décisions développant un droit particulier à un territoire. Selon le rapport parlementaire établi sur cette question, la jurisprudence constitutionnelle ne permet pas que le Parlement puisse modifier le droit local. Il peut juste…. le supprimer ! Pour réformer le régime local d’assurance maladie, faut-il dès lors changer la Constitution.

Cet exemple nous montre une fois de plus les limites de la démocratie régionale en France. Pour renforcer celle-ci et pour donner un avenir au droit local, il faudra davantage que reconstituer la Région Alsace dissoute. Seule une nouvelle Région Alsace dotée d’un pouvoir  normatif permettrait d’adapter et d’enrichir le régime local. Sa pérennité passe par un changement constitutionnel en France, dans le sens d’une véritable régionalisation.

« Ces jeunes qui permettraient à l’Alsace de retrouver sa place dans l’histoire »

Afin de trouver une issue positive au mille-feuille administratif que connaît la France et pour permettre aux Alsaciens d’élaborer les contours de leurs institutions, Guillaume Germain et Victor Vogt ont rédigé une proposition de loi citoyenne qui permettrait aux départements de fusionner et d’obtenir les compétences de la région. Ils sont respectivement Maire-adjoint de Cernay et Conseiller municipal de Gundershoffen. Victor est d’ailleurs membre du Club Perspectives Alsaciennes et participe régulièrement à nos travaux.

Cette proposition de loi n’est pas sans faire échos au débat provoqué lors des questions d’actualité aux gouvernements par le Député-Maire de Molsheim, Laurent Furst. Par ailleurs, le conseil européen des pouvoirs locaux s’inquiète du manque de démocratie dans le cadre de la réforme territoriale. Ainsi, cette proposition citoyenne de deux élus locaux tombe à point nommé et permettrait d’approfondir la démocratie en renforçant l’architecture territoriale locale française.

Ils ont accompagné leur texte d’un courrier destiné aux parlementaires de la République française, dont nous vous donnons quelques verbatim ici :

« Ce texte se veut novateur, car il a pour objectif de revivifier la démocratie locale tout en permettant un approfondissement de la décentralisation, de la réforme de l’Etat et des collectivités territoriales. En ce sens, le texte ne propose pas un morcellement supplémentaire de nos territoires, mais se veut au contraire l’aboutissement du processus de décentralisation par l’émergence de collectivités plus fortes, et ce notamment à l’échelle européenne. Ainsi, ce texte permettrait, de façon équilibrée, d’aller au-delà de toutes les réformes menées jusqu’à présent. » 

« Il ne vous aura pas échappé que notre initiative vient du terrain, et que nous souhaitons que la base de l’organisation territoriale de la République puisse acquérir une souplesse nécessaire dans un monde en constante adaptation. De ce fait, en défendant cette proposition de loi, vous permettriez aux acteurs locaux d’engager, de façon constructive et apaisée pour la France, la création de territoires renforcés en phase avec les aspirations locales et la nécessaire dimension européenne. »

Voici le texte de la proposition de loi élaborée par Guillaume Germain et Victor Vogt.

« Proposition de loi relative à la fusion des départements et la création de collectivités territoriales uniques aux compétences élargies »

Exposé des motifs

Cette proposition de loi s’inscrit dans une tendance lourde à la réforme de l’Etat et des collectivités territoriales. Elle poursuit les jalons posés par l’Acte II de la décentralisation, la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral et la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dite « NOTRe ».

Ces différentes réformes visaient à simplifier le mille-feuille administratif tout en renforçant les collectivités territoriales. Ce processus demeure pourtant inachevé puisqu’il visait à faire disparaître les départements. Or, la taille des nouvelles régions a redonné de la vigueur à l’échelon départemental.

Ce texte vise à offrir à nos collectivités tous les moyens de construire leur propre avenir en redonnant un caractère efficient aux dispositions introduites par la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales.

Si l’article L.4124-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit la possibilité d’une fusion entre une région et les départements qui la composent en une collectivité unique. L’élargissement du périmètre de la plupart des régions a rendu cette possibilité totalement inapplicable tant il signifierait une perte de proximité de cette collectivité unique. Et pourtant, cette option novatrice était source d’efficacité et de simplification.

L’article L.3114-1 du CGCT permet à des départements volontaires émanant d’une même région de fusionner. Toutefois, la législation actuellement en vigueur ne prévoit ni la possibilité pour des départements issus de régions différentes de fusionner, ni la faculté pour  ces nouveaux départements fusionnés d’exercer les compétences des régions.

Il s’agit donc d’approfondir les réformes récentes des collectivités territoriales à deux niveaux. Le premier est quantitatif en offrant la possibilité aux acteurs locaux de réduire le nombre de départements. L’autre est qualitatif, car il doit permettre aux acteurs locaux de former des collectivités territoriales uniques à l’image des démarches ultramarines et corse.

Ainsi, le texte vise à compléter l’article L.3114-1 du CGCT pour permettre aux départements, qu’ils soient ou non de la même région, de fusionner tout en ayant la possibilité d’obtenir les compétences de la région.

L’article 1 supprime la notion de majorité qualifiée pour adopter une délibération concordante entre plusieurs conseils départementaux. Cette suppression simplifie le processus d’adoption de ce type de délibération.

L’article 2 étend la possibilité aux départements de fusionner qu’ils soient ou non issus de la même région.

L’article 3 porte sur la demande de transfert des compétences des régions aux nouveaux départements fusionnés pour devenir une collectivité territoriale unique.

L’article 4 indique les modalités de consultation de la population et d’approbation du projet.

L’article 5 détermine, conformément à l’article 72 de la Constitution, les conditions d’octroi des compétences des régions aux départements qui veulent par ailleurs fusionnés.

ARTICLE 1

Dans l’alinéa I de l’article L. 3114-1 du code général des collectivités territoriales après les mots  » délibérations concordantes de leurs conseils départementaux,  » sont supprimer les mots  » adoptées à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, « .

ARTICLE 2

Dans l’alinéa I de l’article L.3114-1 du code général des collectivités territoriales après les mots  » départements formant,… » sont supprimer les mots « dans la même région, ».

ARTICLE 3

Dans l’alinéa I de l’article L. 3114-1 du code général des collectivités territoriales après les mots  » regroupés en un seul département  » les mots suivants  » et, s’ils le souhaitent, solliciter complémentairement l’exercice des compétences de la région sur leur nouveau territoire pour devenir une collectivité territoriale unique. »

ARTICLE 4

Est inséré un nouvel alinéa II de l’article L. 3114-1 du code général des collectivités territoriales rédigé comme suit :

 » Le Gouvernement ne peut donner suite à la demande que si ce projet de regroupement et d’élargissement de compétences recueille, dans chacun des départements concernés, l’accord de la majorité absolue des suffrages exprimés.  Cette consultation des électeurs est organisée selon les modalités définies à l’article LO 1112-3, au second alinéa de l’article LO 1112-4, aux articles LO 1112-5 et LO 1112-6, au second alinéa de l’article LO 1112-7 et aux articles LO 1112-8 à LO 1112-14. Un arrêté du ministre chargé des collectivités territoriales fixe la date du scrutin, qui ne peut intervenir moins de deux mois après la transmission de la dernière délibération prévue au I du présent article. »

ARTICLE 5

Après l’alinéa III de l’article L. 3114-1 du code général des collectivités territoriales, rajouter un alinéa IV ainsi rédigé :

 » L’octroi des compétences de la région aux départements qui fusionnent est décidé par la loi qui érige cette nouvelle collectivité en une collectivité territoriale unique. La loi détermine son organisation et les conditions de son administration. »   »

Charte européenne violée : le Conseil d’Etat n’a pas eu le courage de dire que le roi était nu.

par Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local, de l’association Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle. 28 octobre 2015.

On savait que Conseil d’Etat allait rejeter les recours contre la loi Notre (réforme territoriale). On attendait sa motivation. Il ne nous a pas déçu.

Le Conseil d’Etat « dit » le droit, c’est à dire qu’il fabrique les règles qui lui paraissent appropriées.
Comme la déclaration d’invalidité de la loi sur les fusions lui paraissait inopportune, il a inventé une règle qui le dispense de prononcer cette invalidité. Ce faisant il reconnait néanmoins que la loi sur la fusion des régions viole la Charte européenne de l’autonomie locale.

Reprenons dans l’ordre ces différents points :

Le Conseil d’Etat rappelle les règles qui régissent l’applicabilité directe en droit interne d’une stipulation internationale. Ces règles font que l’article 5 de la Charte sur l’autonomie locale s’impose bien au législateur français. Ces règles imposent une vraie consultation en bonne et due forme des régions fusionnées et même un référendum puisque la loi française le permet. Ces obligations ont bien été méconnues par le législateur français. Le Conseil d’Etat le reconnait.

Certes, il ne le dit pas aussi explicitement car ce n’est pas son style rédactionnel. Mais en écartant pour un motif très particulier la sanction de cette violation de la loi internationale, il reconnait implicitement mais nécessairement l’existence de cette violation. Si celle-ci n’était pas reconnue, Le Conseil d’Etat aurait a coup sur écarté le recours comme invoquant une violation qui n’existe pas, ce qu’il n’a pas fait.

Il a donc rejeté le recours par un argument original, une sorte de joker, pour sauver la loi contraire à la Charte européenne. De façon purement « prétorienne », c’est à dire en fonction de son appréciation discrétionnaire de l’opportunité juridique, il a créé une règle nouvelle. Celle-ci ne concerne pas le fond du litige mais les pouvoirs du juge : le Conseil d’Etat a décidé que les juridictions ne peuvent écarter l’application d’une loi pour non conformité à la règle internationale si cette non conformité porte sur une obligation procédurale. Si c’est la procédure d’adoption de la loi qui est irrégulière, le juge administratif s’interdit de mettre en cause cette loi. Un tel « moyen » de droit est déclaré irrecevable : il ne « peut être utilement invoqué » alors même qu’il est fondé.

Comme dans dans de nombreux autres arrêts, le Conseil d’Etat a donc créé une règle nouvelle pour aboutir au résultat qui lui paraissait opportun. Il n’indique pas quel serait le fondement ou la justification de cette règle nouvelle : la motivation des jugements selon lui ne va pas jusqu’à donner ce genre d’indications. Il peut se fier aux commentaires d’éminents membres des facultés de droit qui vont s’empresser de faire preuve d’imagination pour trouver toutes sortes de justifications juridiques et raisonnables pour expliquer que cette règle nouvelle était déjà implicitement inscrite dans la jurisprudence antérieure et dans la nécessité profonde du système juridique.

On peut cependant rester sceptique :

 En premier lieu, on peut contester que l’irrégularité en cause est une irrégularité dans la « procédure d’adoption de la loi ». En ignorant l’avis des collectivités fusionnées et de la population concernée, le législateur n’a pas méconnu (seulement) une règle relative à la procédure d’élaboration législative, il a commis une irrégularité de fond. Certes, il pouvait décider le contraire de ce que souhaitent les collectivités concernées et leurs habitants, mais il devait au moins connaitre et prendre en considération cette position. Telle est la véritable portée de l’article 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale.

De plus, ce n’était pas à l’évidence au législateur, dans le cadre des règles procédurales parlementaires  d’adoption d’une loi, de consulter les régions et leur population. Ce travail incombait incontestablement au Gouvernement et le législateur devait, sur la base de l’article 5 de la Charte, qui s’impose à lui comme le Conseil d’Etat le reconnait, repousser ce projet de loi tant que la consultation n’avait pas été correctement réalisée. C’est donc de manière très peu convaincante que le Conseil d’Etat prétend que seule une règle de la procédure législative tirée de la Charte européenne a été méconnue et que le juge n’a pas à s’occuper de ce type d’irrégularité.

En deuxième lieu, on comprend mal pourquoi une règle internationale instituant une procédure préalable et applicable dans l’ordre juridique interne pourrait être plus facilement méconnue, sans aucune sanction juridictionnelle, qu’une règle de fond. Les règles de consultation préalable sont tout aussi importantes  que les règles de fond et le Conseil d’Etat ne manque pas de sanctionner leur méconnaissance lorsqu’elle sont définies par une règle de droit interne. Pourquoi en serait-il autrement quand de telles règles de procédure sont fixées par la règle de droit international reconnue comme directement applicable en droit interne ?  Enfin, il n’y a pour le juge administratif pas plus de difficulté juridique ou politique de relever l’invalidité d’une loi pour motif de méconnaissance d’une règle procédurale que pour méconnaissance d’une règle de fond.

La règle nouvelle inventée pour la circonstance par le Conseil d’Etat est de surcroit un véritable retour en arrière dans la jurisprudence de plus en plus ouverte de de contrôle du respect du droit international. Que cette régression intervienne au sujet d’une convention du Conseil de l’Europe et à l’occasion d’un acte international de protection de l’autonomie locale parait symptomatique.

On nous dira : le Conseil d’Etat pouvait-il faire autrement ? Le blocage juridictionnel de la procédure de fusion des régions était-elle imaginable ? En posant cette question, on interroge évidemment le caractère d’Etat de droit véritable de notre pays : le respect de la loi ne serait-il que pour les broutilles, pas pour les questions fondamentales ?

De plus, si le Conseil d’Etat avait effectivement suspendu les élections régionales dans l’attente d’une consultation conforme à la Charte européenne, y aurait-il eu affolement ou soulagement dans le pays ? A écouter les rudes critiques adressées par une majorité d’hommes politiques et de spécialistes de l’administration à l’encontre de cette réforme administrative, cette « deuxième chance » de faire une bonne réforme aurait  été finalement probablement perçue comme une opportunité plutôt que comme une catastrophe. Mais pas plus que les élus, le Conseil d’Etat n’a eu le courage de dire que le roi était nu.