Tribune de Jacques Schleef publiée dans l’Ami Hebdo du 22 septembre 2019.
Ces derniers temps, la question d’un « ethno-régionalisme » alsacien a donné lieu à des polémiques stériles au sujet de la légitimité d’une revendication identitaire dans les deux départements du Rhin, à la suite de l’adoption de la loi créant (au 1er janvier 2021) la Collectivité européenne d’Alsace »(CeA). Certains arguments paraissent utilisés pour dénigrer ceux qui « osent » dorénavant afficher leurs convictions « pro-alsaciennes ». Ce climat de ‘guerre civile » n’est pas acceptable dans une démocratie moderne et apaisée (comme la souhaite le président de la République). Dans la perspective des prochains scrutins, les Alsaciens devraient donc réfléchir ensemble, à la question de l’identité politique de l’Alsace (qu’elle porte le nom de CeA, de région ou toute autre terme).
L’Alsace
d’aujourd’hui, c’est une identité territoriale constitué du
Haut- et du Bas-Rhin. Ces deux collectivités disparaîtront avec
l’entrée en vigueur de la CeA ; il serait souhaitable pour des
raisons de gestion et de cohésion que l’Etat fusionne aussi ses deux
administrations afin de former un « département du Rhin »
unifié. En outre, un découpage en « districts » et
« communautés d’agglomération » éviterait une
« hydrocéphalie » strasbourgeoise tout en respectant la
diversité historique de l’Alsace. Ceci étant, la future CeA doit
être « ouverte » sur le plan géographique. Si demain, le
Territoire-de-Belfort (détaché du Haut-Rhin en 1871) ou
d’autres entités voisines voulaient nous rejoindre, il faudrait les
accueillir (dans des conditions à déterminer). Il ne s’agit pas
d’encourager un « irrédentisme » mosellan, mais de montrer
que l’Alsace n’a pas « peur » de ses amis lorrains.
L’Alsace
d’aujourd’hui, c’est une identité économique largement tournée
vers l’espace rhénan et -plus largement- l’Europe. Plusieurs défis
doivent être relevés dans les prochaines années: le marché de
l’emploi (impact de l’évolution démographique, formation et
qualification professionnelle), l’attractivité pour les
investisseurs locaux et étrangers (fiscalité et droit social), les
infrastructures et l’énergie (fermeture de la centrale de
Fessenheim, mise en place d’un péage pour les poids-lourds,
amélioration des liaisons ferroviaires et « ferroutage » du
fret en transit). Ces domaines requièrent une véritable stratégie
pour la CeA, pour laquelle la contribution des acteurs privés est
indispensable.
L’Alsace d’aujourd’hui, c’est une identité sociale composite. Si la société alsacienne était largement homogène jusque dans les années 60, l’immigration a largement modifié sa composition, avec l’arrivée importante de Français « de l’Intérieur » et de ressortissants européens et extra-européens. Déjà après la Guerre de Trente Ans, l’Alsace avait « absorbé » des immigrants venus repeupler ses villes et villages dévastés, dans un esprit de large tolérance religieuse. Actuellement, les différences sont souvent exacerbées et instrumentalisées au détriment de l’intégration. Pour que tous et chacun, sans distinction d’origine, puisse se sentir Elsasser, une action de pédagogie civique volontariste doit être menée en direction de ceux dont les ancêtres vivaient ailleurs. Un échec serait doublement dangereux: les Alsaciens « d’origine » pourraient se sentir « colonisés » (entraînant un vote de protestation extrémiste), tandis que les « nouveaux » leur reprocheraient une « exclusion communautariste » (dont les différents groupes s’accuseraient réciproquement).
L’Alsace
d’aujourd’hui, c’est une identité juridique « en
sursis » (partagée avec la Moselle). On sait que le Conseil
constitutionnel a imposé une « abrogation rampante » du
droit « local ». Aussi longtemps que le principe de
différenciation ne sera pas reconnu, cette érosion insidieuse se
poursuivra dans une large indifférence, la population veillant
davantage à « ses » jours chômés (Saint-Etienne et
Vendredi-Saint) qu’au respect du Code des communes. La
reconnaissance d’un pouvoir normatif alsacien, serait conforme au
principe de subsidiarité reconnu par l’Union européenne et le
Conseil de l’Europe.
L’Alsace
d’aujourd’hui, c’est une identité culturelle perturbée et menacée.
La langue régionale (dans ses versions dialectale et littéraire) se
meurt, et les efforts menés pour soutenir sa transmission aux
nouvelles générations sont voués à l’échec sans soutien des
familles, des entreprises, de la société et des pouvoirs publics.
L’Etat « profond » (centraliste et jacobin) fait tout pour
saboter les projets de réforme d’Emmanuel Macron. Sur le modèle
de la Corse, il faut imposer l’apprentissage obligatoire de
l’alsacien et de l’allemand à l’école dès la maternelle (d’autant
plus que la scolarisation obligatoire monolingue à trois ans aura un
impact désastreux sur la connaissance du dialecte chez les enfants).
Sans « déclaration d’état d’urgence culturelle », la
disparition (programmée en haut lieu) de ce patrimoine sera un
désastre pour l’Alsace, qu’il s’agisse du tourisme, des échanges
avec les pays germanophones et du « bonheur d’être Alsacien »
de ses habitants. L’Alsace n’est pas une « Bretagne de l’Est »
avec une langue régionale cantonnée au folklore commercial !
Demain les régionalistes de toute obédience seront appelés à s’unir pour réussir le pari de la CeA: ne comptons pas sur les mouvements politiques nationaux pour une telle ambition, mais mobilisons nos propres capacités à imaginer une « Alsace nouvelle ».
Jacques
Schleef
secrétaire
général du Club Perspectives Alsaciennes
secrétaire
général adjoint du Mouvement pour l’Alsace,
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