Histoire

A nos morts

Dans toutes les communes de France, les monuments patriotiques érigés après la 1ére guerre mondiale portent l’inscription «  Morts pour la France ». Toutes les communes ? Non, car en Alsace et en Moselle la formule retenue pour rendre hommage aux victimes civiles et militaires des deux conflits de la première moitié du 20ème siècle est « A nos morts » puisque la plupart d’entre eux sont tombés sous l’uniforme allemand.

Aujourd’hui la population de l’ancienne Alsace-Lorraine n’est pas constituée uniquement de descendants de ces soldats ; un nombre important de nos concitoyens est issu de familles dont les fils ont donné leur vie pour la France et aussi pour l’Alsace, même si leurs noms ne sont pas gravés sur nos monuments.

Le 11 novembre nous devons exprimer notre gratitude et notre respect aussi bien aux victimes alsaciennes des deux guerres mondiales qu’aux combattants venus d’ailleurs ( de France, de l’Empire colonial et des pays alliés) qui sont tombés au champ d’honneur pour permettre de construire la paix et la démocratie dont nous bénéficions aujourd’hui.

Ainsi l’Alsace exprimera à la fois son ouverture et sa capacité d’intégration ainsi que son attachement à son identité et à son histoire.

Message envoyé aux associations des maires du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, afin qu’ils puissent affirmer  sans ambages leur attachement à l’histoire régionale et à notre identité politique.

L’Alsace disparaît des livres scolaires, et bien plus encore !

Club Perspectives Alsaciennes, le 6 février 2017.

histoiregeo-hachetteSelon les DNA de ce jour, la nouvelle édition du manuel scolaire d’histoire-géographie de Hachette fait disparaître l’Alsace des cartes. La carte des nouvelles régions administratives (page 240) ne fait désormais plus mention de l’Alsace, ce qui était prévisible. Mais l’Alsace disparaît également de la carte des reliefs du pays (page 241), qui mentionne pourtant encore les Vosges et la Lorraine.

A long terme, cette tendance est dangereuse. Déjà aujourd’hui, les jeunes qui sortent du lycée ont une très mauvaise connaissance de la géographie et de l’histoire de l’Alsace, c’est à dire sa dimension rhénane, au contact direct de l’Allemagne et de la Suisse. De nombreux jeunes alsaciens ne savent même pas ce que signifie le terme  »Pays de Bade », leur connaissance du voisinage de l’Alsace se limitant souvent à Europapark. Ceci est la conséquence de l’inadéquation totale des programmes scolaires pour l’Alsace.

L’effacement de l’Alsace des programmes scolaires résonne avec d’autres mesures prises par la région Grand Est. Depuis le 1 janvier 2017, les plaques d’immatriculation sont estampillées Grand Est, les annonces dans les trains TER ont substitué le terme Alsace par Grand Est. Les exemples de ce remplacement sont déjà nombreux.

A long terme, l’effacement de l’Alsace programmée par le Grand Est est dangereux. Contrairement à ceux qui disaient qu’il s’agissait d’une réforme purement administrative, qui ne changerait rien à l’identité et au quotidien des gens, il s’agit bien d’une tentative d’imposer une nouvelle identité. Pour 2017, le Grand Est souhaite  »donner corps à une politique mémorielle qui puisse s’appliquer sur l’ensemble du territoire régional », à travers un Comité d’Histoire Régionale du Grand Est (rapport 16SP-3225 de la Commission Culture du Grand Est).

En créant de toute pièce une histoire régionale Grand Est, c’est bien une nouvelle identité GrandEstienne qu’on tentera de nous imposer. En effaçant l’Alsace partout où c’est possible, petit à petit, le Grand Est affaiblira l’identité alsacienne, pour la substituer par une identité factice imposée d’en haut.

Nous refusons cette tentative d’usurpation d’identité. Face à ce danger, nous considérons que l’avenir de l’Alsace passe obligatoirement par une sortie du Grand Est. C’est également une condition nécessaire à tout projet ambitieux pour la nouvelle collectivité territoriale envisagée par les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

 

 

Histoire enfouie ou facteur d’identité

par Ernest Winstein, théologien, chroniqueur (article publié dans Land un Sproch, numéro 198, juillet 2016)

De 1525 à aujourd’hui, la conscience alsacienne n’a pas fini de se libérer.

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Que reste-il de la révolution de 1525 dans la conscience alsacienne ? Ou en l’inconscient de l’âme alsacienne ? En quoi a-t-elle contribué à former l’identité alsacienne ? Cet événement de l’histoire de l’Alsace a marqué la population pour longtemps, et sans doute jusqu’à aujourd’hui. Certes, la région a connu bien d’autres événements marquants, voire douloureux – la prise de Strasbourg par Louis XIV, les guerres napoléoniennes, les guerres de 1870, de 14-18, 39-45, pour ne citer qu’elles. L’époque « allemande » , les années de l’autonomisme…

Que s’est-il passé en 1525 ?

Une révolution – que l’on appelait de façon méprisante la guerre des rustauds, noyée dans le sang. La population qui demandait moins de charges, plus de justice, a fini par prendre les armes, pour s’opposer aux abus dont elle était l’objet.
Révolution ? Oui, car il s’agit d’un état d’esprit nouveau, d’une volonté de s’affirmer face à des pouvoirs jugés abusifs, celui d’une noblesse qui s’accrochait au statut social en vigueur et se servait de l’Eglise pour y parvenir – elle réussira à sauvegarder son pouvoir jusqu’à la Révolution française.
Pour provoquer ce mouvement, il fallait un appel d’air. Il vint des élans réformateurs nés au sein du catholicisme qui, n’ayant pu se concrétiser à l’intérieur de celui-ci, menèrent à la naissance d’une nouvelle organisation religieuse, l’Eglise évangélique, appelée plus tard luthérienne, et qui, avec les Eglises réformées, prendra sa place dans cet ensemble que l’on appellera le protestantisme.
En 1525, cette cassure n’existait pas. D’ailleurs, l’on ne pensait pas à une telle séparation. Les idées de Luther et de ses adeptes touchaient la presque totalité de la population et, en général, les milieux les plus cultivés. Il s’agit d’un mouvement général devenu très vite populaire. Si les institutions religieuses, notamment monacales étaient en général peu touchées au départ, des ecclésiastiques étaient souvent à la pointe du mouvement.
L‘intervention du Duc de Lorraine et de son armée fit de la révolution un carnage que l’on appellerait aujourd’hui un génocide. On estime à quelques 30 000 le nombre de victimes. Parmi les combattants, l’on avait dénombré des curés de paroisse – leur nombre est difficile à évaluer – dont beaucoup sont restés sur le champ de bataille. A quoi cette révolution a-t-elle abouti ?

Qu’en est-il resté ?

Une population terrorisée, soumise pour longtemps. Une recherche historique sur les condamnations d’Alsaciens engagés dans la lutte mériterait d’être menée, si les sources le permettent. Des combattants identifiés ont été jugés, condamnés. Les dénonciations allaient bon train. Comment des villages exsangues pouvaient-ils se remettre, retrouver une cohésion pour s’inscrire dans le temps? La mémoire en gardera les traces pendant longtemps et certainement jusqu’aujourd’hui dans l’inconscient collectif : il n’est pas rare que les Alsaciens expriment une sorte de mépris vis-à-vis des Lorrains, et c’est même le cas de jeunes d’aujourd’hui, ceux-ci ne sachant pourtant comment justifier une telle attitude.
Evoquons, à ce propos, un incident, en soi mineur, mais révélateur, que l’on situera dans les années 1950, quelque part dans l’Ackerland. Un groupe de personnes se trouve réuni dans la rue et discute. Lorsqu’il fut constaté que l’un des locuteurs était lorrain, un autre membre du groupe se retourna et cracha par terre. Or, il est vraisemblable qu’à l’époque de la bataille de 1525, l’on ne faisait guère de différence entre Lorrains et Alsaciens, d’autant moins que la révolte avait touché aussi la population lorraine proche et que des renforts d’insurgés avaient tenté de rejoindre les révoltés d’Alsace. Au XXè siècle, il restait visiblement dans la conscience alsacienne des ressentiments, sans que l’on sache en expliquer les causes. Sans établir aussi la distinction entre un habitant de Lorraine et l’autorité politique de jadis. Plus ou moins consciemment, les tenants de la province Lorraine étaient ceux qui avaient mis à sang leur province, l’Alsace.
Quel a été son impact sur la conscience de la population de l’Alsace?

Une population marquée, mais sans voix

Un événement majeur de l’histoire de l’Alsace a donc marqué durablement la population, au point de l’installer dans un esprit de soumission pour longtemps. Aujourd’hui, on s’appliquera aussi à constater, au nom de la vérité historique, combien la population alsacienne était solidaire – voir les soutiens venus de la haute Alsace, en dépit des partages territoriaux de l’époque, et abstraction faite du refus de la ville impériale de Strasbourg de soutenir la révolution de 1525. Le combat final met bien en relief cet aspect révélateur de la réalité d’une région. Unie mais réduite au silence !
Quant au hiatus entre Strasbourg et l’Alsace, il a eu, lui aussi, un impact négatif, défavorable pour le devenir de la région. Lorsque Louis XIV se mit à conquérir l’Alsace, la ville de Strasbourg ne pouvait plus compter sur l’aide de ce qui aurait dû être sa province, d’ailleurs affaiblie et mise à mal durant des décennies de combats, de ravages et d’exactions de la part des troupes étrangères à la région… Et l’on peut se demander si ce manque de cohésion entre la ville et la région n’a pas eu des conséquences jusqu’aujourd’hui !

Républicains, révolutionnaires, essoufflés, réduits.

On sait que les Alsaciens étaient favorables à la naissance de la République, censée ouvrir enfin un espace où la liberté puisse s’exprimer et la justice régner. Mais en 1870, ils étaient de nouveaux du côté des vaincus. Et, une fois de plus. Le nouveau mouvement révolutionnaire qui se pointa alors ne dura pas longtemps : la bourgeoisie strasbourgeoise avait acclamé l’armée française en 1918 et s’est ainsi protégée contre le risque révolutionnaire qu’annonçait la montée des comités « soldats-ouvriers ». Le positionnement des instances politiques en place, le Landtag réactivé dans l’urgence après quatre années de quasi-dictature, étaient assez largement favorables au maintien d’une entité politique plus ou moins autonome. Les velléités identitaires étaient vouées à l’essoufflement, une fois de plus. Les dénonciations ont servi à mettre au pas la région. Et l’on remit une couche en 1945.
Au terme d’une telle évolution, que peut-il rester d’une « identité » alsacienne ? Une langue en déclin, une culture en décomposition, des frustrations, des rancunes… Hormis chez les politiciens en vue, alignés sur Paris, et quelques vagues protestataires, l’esprit de soumission ne pouvait conduire qu’à l’alignement progressif au politiquement et « culturellement correct ».

Le nouveau mouvement de protestation provoqué récemment par la volonté obstinée de faire disparaître l’Alsace administrative, avec le consentement de la plupart des élus, permettra-t-il de susciter un élan véritable en faveur d’un pouvoir populaire, favoriser la renaissance du bilinguisme, saisir l’opportunité d’un vrai renouveau culturel passant, non par un choc des cultures, mais une rencontre féconde, notamment entre la France et l’Allemagne ?
La conscience alsacienne n’a pas fini de se libérer. Et de se construire !