Mois: septembre 2015

Centres de gravité

par Pierre Kretz, écrivain, auteur du Nouveau malaise alsacien (édition Le Verger, 2015). 20 septembre 2015

Dans ce texte, Pierre Kretz appelle a élargir le mouvement régionaliste au-delà des problématiques alsaciennes traditionnelles, pour fédérer tous ceux qui sont sensibles à la notion de démocratie.

Ce projet absurde de Grande Région a au moins un avantage : il nous oblige à nous situer par rapport à ce que nous sommes, par rapport à la démocratie dans notre pays, par rapport à la notion d’engagement.

Autant de notions qui ne nous empêchaient pas vraiment de dormir jusqu’à présent mais qui là, d’un coup, nous sautent à la figure. Avec ce sentiment d’urgence que nous ressentons tous : les choses vont se jouer dans un court laps de temps. En décembre. Et si en décembre il n’y a pas en Alsace un refus massif de la grande région, il sera plus difficile par la suite de revenir à une Région Alsace maintenue dans ses limites actuelles.

Par refus massif j’entends qu’au moins 30% des électeurs des deux départements qui s’expriment manifestent par leur vote un rejet de l’ACAL. Si nous atteignons ce score, nous aurons de bonnes raisons d’espérer, surtout si les listes du refus arrivaient en tête, ce qui me semble tout à fait envisageable, et surtout si nous mettons en avant l’idée que cette élection devra être le référendum dont les citoyens alsaciens ont été privés.

Une telle ambition suppose que la liste du rejet de l’ACAL se place au centre du jeu politique régional. Qu’elle soit véritablement incontournable à partir du 2e tour des régionales. Que rien ne pourra désormais se faire sans cette force qui se sera exprimée là. C’est là le premier de mes deux centres de gravité. Si nous n’atteignons pas ce but en décembre, notre mouvement risque d’être marginalisé politiquement.

Le deuxième centre de gravité à trouver, est celui qui devra équilibrer notre propre mouvement de refus de la grande région. Que ce mouvement soit porté électoralement par Unser Land, le seul parti politique qui ne soit pas dans la trahison de la volonté profonde de la population, est parfaitement légitime. Mais il faut avoir à l’esprit que de nombreux opposants à la grande région ne sont pas forcément sensibles en priorité à ce qui constitue l’ADN d’Unser Land : l’idée de peuple alsacien, la langue, une sensibilité forte à l’histoire régionale.

Je peux en témoigner à partir des causeries organisées autour de mon livre et des quantités de mails que j’ai reçus depuis sa publication. Il y a une opposition à la grande région qui ne se nourrit pas des fondamentaux d’Unser Land, mais d’autres valeurs tout aussi respectables : la démocratie, le respect de la démocratie de proximité et de la volonté populaire, un idéal fédéral, l’économie, la cohérence de l’aménagement du territoire, le sentiment d’être trahi par les partis nationaux…

Parmi les personnes animées par ce type de motivations, je constate qu’il y beaucoup d’électeurs traditionnels du parti socialiste, des verts ou du Modem. Et aussi, un phénomène qui me frappe et qu’il ne faut surtout pas négliger : de nombreux citoyens d’Alsace qui ne sont pas « Alsaciens de souche » partagent notre point de vue. On trouve d’ailleurs quelques beaux exemples de ces citoyens d’Alsace au sein même du Club Perspectives Alsaciennes ! Cet apport de démocrates à notre cause vient compenser très largement les démissions et les renoncements de certaines figures traditionnelles de la culture alsacienne…

Parviendrons-nous à trouver ce second centre de gravité au sein de notre propre mouvement ? La réponse à cette question sera déterminante quant à la possibilité de placer le mouvement de refus de la grande région au centre du jeu politique en décembre.

Le parti Unser Land se trouvera en décembre 2015 dans une situation de véritable responsabilité historique. Sa capacité à parler à une partie de l’électorat régional qui n’est pas a priori sensible à ses thèmes traditionnels est probablement une des clés du scrutin à venir.

Deux langues à traiter à égalité !

par Richard Weiss, cofondateur des écoles ABCM-Zweisprachigkeit (Association pour le Bilinguisme en Classe dès la Maternelle), membre du CPA. 14 septembre 2015.

Dans cet entretien, réalisé et publié dans l’Alterpress68 du 4 septembre 2015, Richard Weiss livre ses propositions en faveur d’un véritable bilinguisme en Alsace.

L’Alterpresse68 :  Vous êtes à l’initiative d’une proposition pour une « co-officialité du français et de l’allemand, langue régionale et internationale »

Richard Weiss : Je précise bien « langue régionale et internationale » en ce qui concerne la langue allemande pour bien montrer que nous défendons à la fois notre culture et notre langue historique, «’s Ditscha » , l’allemand sous toutes ses formes (dialectes et langue standard), ce qui se justifierait en soi, même si l’allemand n’était pas en plus la langue la plus parlée en Europe : nous ne sommes donc pas dans un repli identitaire avec notre proposition. Ce sont les monolingues qui font du repli identitaire (ainsi que ceux qui ne voient que l’aspect dialectal  parce qu’ils ont été complexés par l’école publique et ont peur de se faire traiter d’ « Allemands » !)

Il faut poser comme principe que les 2 langues sont à traiter à égalité  dans tous les aspects de la société et pas seulement à l’école dans les classes bilingues dites « paritaires », c’est-à-dire avec un horaire identique dans chaque langue : en réalité un enfant monolingue de 3 ans vivant dans un milieu francophone  entendra  de l’allemand pendant un maximum de 12 heures/semaine (x 25 semaines = 300 h/année… sur 3650 heures/année), c’est-à-dire moins qu’un dixième du temps où il est éveillé !  De plus, cette  poursuite « paritaire » n’est assurée dans aucun collège ni lycée…

L’Alterpresse68 : Comment cette proposition pourrait-elle s’appliquer ?

Richard Weiss : A l’école il faut enfin passer du stade de la demande  (parents, élus, organismes économiques, etc..) à une offre généralisée (avec évidemment dispense pour ceux qui préfèrent en rester au monolinguisme), comme en Corse où, suite à une circulaire de M. Jospin, le corse est présent à l’emploi du temps de toutes les classes !

Il faut former des enseignants en allemand à l’ESPE et les nommer dans les écoles de la Région, ou faire appel à des enseignants déjà formés dans des pays germanophones (Allemagne, Luxembourg, Autriche, Suisse) !

 Il faut aussi que le concours se passe dans la langue que l’enseignant parlera devant les enfants (et non en français, comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui pénalise les germanophones natifs, pas toujours à l’aise dans des épreuves typiquement françaises comme la dissertation…

Il faut aussi, comme cela existe depuis 30 ans dans les autres régions de France, créer enfin de véritables écoles en immersion, en commençant par le dialecte à l’oral en maternelle ! M. Thierry KRANZER le dit bien : « Aucune langue n’a jamais été sauvée sans immersion ! » et  « Aucune opération de promotion de l’Alsace ne compensera la perte éventuelle de notre langue ! »

En outre, la création d’une vraie chaîne de télévision régionale (et non de simples décrochages limités)  fait partie du minimum de ce qui devrait être réalisé.

L’Alterpresse68 : Alors que l’éducation régionale rogne sur les moyens des enseignants, cette proposition devra trouver des financements ?

Richard Weiss : Les bénéfices à brève et longue échéance d’un enseignement bilingue sont supérieurs aux coûts initiaux. Si ce n’était pas le cas, on pourrait se demander comment un Land aussi « pauvre » que la Sarre pourrait envisager la généralisation du français !