Mois: avril 2016

Offensives laïcistes contre l’enseignement religieux en Alsace et Moselle

Par Ernest Winstein, chroniqueur et théologien, 24 avril 2016.

winsteinA peine l’ubuesque nouvelle région vient-elle, dans la douleur, de se donner un nom, que les laïcistes (la représentante de la Ligue des Droits de l’Homme en est) sont repartis à la charge pour demander l’abolition du statut de l‘enseignement religieux en Alsace et en Moselle. Ce positionnement qui prend l’allure d’une idéologie quasi religieuse n’est pas nouveau. Déjà en 2014 , et sans attendre que tombe le vote final décrétant la dilution de l’Alsace dans un grand ensemble dit régional, les laïcs radicaux étaient montés au créneau.

Retour à l’année 1924 ?

On se croit revenu en 1924 lorsque Edouard Herriot, devenu président du Conseil, dans son premier discours à l’Assemblée, promettait que le gouvernement « interprétera fidèlement le vœu des chères populations enfin rendues à la France en hâtant la venue du jour où seront effacées les dernières différences de la législation entre les départements recouvrés et l’ensemble du territoire de la République ». Il était en réalité très loin de ce que souhaitaient ces chères populations : peu de temps après, 50 000 personnes manifestaient à Strasbourg pour la conservation de la législation en vigueur.

Le temps est-il venu de mettre un trait sur ce particularisme auquel la grande majorité des Alsaciens (et Mosellans) sont attachés ? Oui, dans l’esprit d’un positionnement républicain qui exigerait le nivellement de tous les citoyens. Non ! Au nom d’une République qui respecte les régions, leur histoire, leur culture, tout ce qui en fait un tissu vivant.

D’ailleurs, au nom de quoi les laïcistes s’autorisent-ils à intervenir sur le statut scolaire ? Au nom de l’esprit démocratique et des Droits de l’Homme souvent mis en avant, c’est à la population de la région qu’il appartient de décider – de cette région que l’on s’est empressé de faire disparaître.

Décidément, le temps est loin où le professeur Etienne Trocmé, alors promoteur d’un socialisme d’esprit humaniste, proposait la création d’une Faculté d’Etat pour l’étude de la religion musulmane, à côté des facultés catholique et protestante…

Le statut scolaire actuel permet de tenir un enseignement religieux mis en œuvre par des enseignants dont la formation est assurée de manière rigoureuse et professionnelle et qui n’a rien d’un endoctrinement religieux. Les élèves inscrits sont tenus d’y assister. Mais l’enseignement religieux, contrairement à ce que prétendent les laïcistes, n’a rien d’obligatoire, puisqu’en début de scolarité les parents sont libres d’y inscrire ou non leurs enfants. Les statistiques invoquées par les opposants ne disent pas grand-chose de la situation réelle. La fréquentation des cours de religion dans les écoles a toujours été fluctuante et dépend souvent de l’organigramme des enseignements dispensés dans l’établissement : les nombreuses options souvent proposées peuvent être un handicap pour le cours de religion. On a pu relever un vrai renouveau quant à la participation des élèves dans les années 2000 lorsque la formation des intervenants en cours de religion a été organisée de manière plus systématique. Notons encore qu’on connaît des situations où les intervenants de l’une ou l’autre confession assurent l’enseignement aux élèves d’une même classe, inscrits et appartenant aux deux confessions chrétiennes.

Le régime de la laïcité hors Alsace-Moselle

Hors de l’Alsace et de la Moselle, la séparation Eglises – Etat selon la loi de 1905 – a engendré des résultats surprenants. Pour ne citer que la situation en Bretagne, l’on a vu des cités entières se diviser entre tenants de l’école laïque et tenants de l’école privée. Je nommerai au besoin ce grand village où les enfants d’âge scolaire se séparent en proportion égale entre l’école privée catholique (où l’on retrouve les enfants des familles plutôt aisées) et l’école laïque. Il tiendrait de la pure logique que des regroupements d’élèves se fassent pour une plus grande efficacité de l’enseignement et une gestion saine des frais incombant à la municipalité –  pour la paix de la cité, celle-ci se voit obligée de partager ses subventions entre les deux écoles.

Notre système alsacien-mosellan est de loin plus performant – étant entendu que le culte musulman devrait y trouver sa place – puisque rares sont les écoles strictement privées.

Quant au statut des cultes, mis en place par le Concordat et des « Articles Organiques », et conservé en Alsace et en Moselle, on peut arguer qu’il serait logique que les départements d’Alsace-Moselle soient les contributeurs financiers. Mais tout changement en profondeur suppose que la population régionale concernée soit consultée et que l’on s’autorise un vrai débat. La région, si elle était dotée d’un système de gestion autonome des charges, pourrait, le cas échéant, se voir confié le prélèvement des impôts destinés à financer les cultes. Le système socialiste actuel n’a cependant rien résolu en profondeur quant aux compétences des régions. Et la fusion ne fait qu’ajouter à la confusion.

En conclusion

Nous ne remettons pas en cause le principe même de la laïcité instaurée par la législation française. Notre statut scolaire est un aménagement régional concédé aux trois départements d’Alsace-Moselle. Il ne met pas en cause la législation. Les institutions religieuses n’interviennent pas dans le fonctionnement de l’Etat. Que les détracteurs de la réglementation scolaire soient rassurés… et qu’ils s’autorisent une réflexion digne d’un véritable jeu démocratique !

Le mirage du Grand

Par Jean-Paul Sorg, Philosophe. Tribune publiée par l’Ami Hebdo le 10 avril 2016.jpsorg

C’était à prévoir, qu’en définitive le lapin qui sortira des urnes aura pour nom « Grand Est ». Je l’aurais parié ! Pourquoi ? Parce que conforme à l’idéologie du président et à sa volonté profonde.

Ce tour de prestidigitation démocratique ne s’est pas déroulé sans accrocs. Nous, spectateurs, n’avons pas pu ne pas voir que les artistes ont un peu bidouillé. Le comité de soixante experts et citoyens n’avait pas retenu dans le trio de tête le nom qu’il fallait. Stupéfait, le président avait jugé que ce n’était « juste pas possible » et se fondant sur son autorité il le fit repêcher in extremis.

Il avait bien laissé entrevoir une préférence esthétique pour « Rhin-Champagne », mais n’était-ce pas une ruse ? Rhin-Champagne ! Une trouvaille poétique, géopoétique, capable d’enchanter ce vaste espace, faisant souffler un doux vent d’est à ouest. Il y avait un mouvement, une dynamique. Et des résonances. Ça sonnait bien. Mais les Lorrains, on le comprend, se sentaient évincés. Ils furent poussés à faire barrage en votant « Grand Est ». Les réseaux, les partis ont dû exhorter leurs troupes au bon choix. Comme toujours dans ce genre de consultation « populaire », la participation n’est rien d’autre qu’une forme de propagande, une technique de communication, et le résultat ne reflète nullement l’état spontané du sentiment public. L’esprit citoyen se trouve abusé une fois de plus et la démocratie non pas rafraîchie, mais compromise.

Tiens, si j’avais daigné participer à l’opération, j’aurais, sur le modèle « Rhin-Champagne », géographiquement correct, voté « Rhin-Vosges » !

Combien de participants, joueurs et militants, ont eu la naïveté de croire que leur bulletin comptera et qu’ils remplissaient un devoir de citoyen ? Un signe que Grand Est était attendu, les jeux déjà faits et les dés pipés : bien avant la fin de l’opération, au soir du 1er avril (clin d’œil du calendrier), on pouvait trouver dans les maisons de presse un magazine intitulé fièrement Grand Est magazine, n° 2, janvier, février, mars, 84 pages, papier glacé, 4€ 50. Beaucoup plus d’images et de pub que de textes d’information. Bien sûr, pas une seule voix discordante. Tout le monde s’y montre beau et gentil et enthousiaste. Les grands médias savent anticiper.

Une erreur de géographie

En toute rigueur, l’appellation « Grand-Est » n’est même pas soutenable par la géographie. Si déjà on se situe d’un point de vue purement français et qu’on regarde les choses à partir de Paris, le Grand Est irait de Nice à Strasbourg. Car il existe bien pour les Français un Sud-Est et logiquement il faut un espace pour un Centre-Est, vers la Suisse. Alors, « Grand Est » pour ce qui ne constitue que le Nord-Est, notion familière en météo, est une tromperie ! Mais dans ce monde où domine le langage publicitaire, qui pénètre le langage politique, personne ne s’offusque des incohérences, on se complaît dans les approximations.

Dans l’espace européen, cet Est, nord-est, se situe plutôt au sud-ouest ! Comme quoi toutes les directions sont relatives et réversibles. Et quoi qu’il en soit, nos dirigeants républicains ou socialistes et nos stratèges nationaux ne s’orientent pas selon l’Europe. Quand la réforme territoriale a été lancée, certains acteurs politiques, du centre-droit, avaient cherché à la justifier en montrant dans ce qui est maintenant le Grand Est « la première EuroRégion française ». Encore un coup de rhétorique dans le vide. La politique en cours pense France, ne pense pas Europe.

Le nom sera légalement arrêté par le Conseil d’État, avant le 1er octobre prochain. La collectivité territoriale ne jouit même pas de l’autonomie de déterminer son nom, elle n’a que le pouvoir de proposer, mais c’est l’État central, pas fédéral, qui dispose. Nous restons bien en France, dans une république pyramidale.

Les voisins allemands traduisent : Große Ost-Region. Mais pour eux nous sommes à l’ouest ! (Nos ancêtres, je le rappelle, écoutaient Südwestfunk.) Leur Grand Est à eux est et a toujours été la Russie et l’Ukraine. Résonance sinistre dans les mémoires alsaciennes. Les 130 000 incorporés de force, dont 30 000 Lorrains, qui ont souffert et péri auf der Ost Front. Envoyés d’un Est à un autre Est, d’un Est à un Ost. Toujours terre de malheur, l’Est, dans notre histoire. Vous n’avez pas eu une pensée pour eux, n’est-ce pas, pas un scrupule, vous les nouveaux table raseurs et constructeurs inconsidérés ? Vous n’avez rien perçu des ondes négatives que produit le nom dont vous avez guidé le choix.

Vous n’avez vu que « Grand » dans le nom, vous avez cru voir grand… Et là est en fait votre erreur la plus lourde.

Une erreur de taille

Grand, plus grand, est naturellement désiré et vous stimule, vous attire. Il y a là quelque chose de primitif, de l’ordre du phallique. Les dirigeants, les présidents, les chefs quelconques sont tous, presque tous, tentés d’augmenter leur importance en augmentant la taille de leur royaume, ne serait-ce, modestement, que les dimensions de leur bureau et le nombre du personnel qu’ils commandent. Quel homme bien trempé, conscient de ses ressources, résisterait à la chance qui s’offre à lui – ou, mieux, qu’il lui a fallu arracher – de gagner en puissance et en efficience ? Président d’une Grande et nouvelle Région, d’un Grand Est, ça ne doit pas faire peur, c’est plus difficile, certes, mais tellement plus gratifiant que d’être à la tête d’une petite région seulement. Et quand il faut la construire, quasiment la créer, quand tout est à inventer, quel exaltant défi ! Quelle importance je prends ! Moi président, je…

On ne va pas s’arrêter, cependant, à ce niveau psychologique. Les ambitions politiques, qui ne sont pas blâmables en soi, ne peuvent s’épanouir que sur un fond de tendances ou de potentialités collectives. Ce qui a tout de suite étonné les citoyens, dans cette histoire, c’est la facilité avec laquelle la classe politique et économique dominante, tous partis confondus, avait accepté et avalisé la réforme. Le légalisme républicain, régulièrement invoqué, ne suffit pas à l’expliquer. Ni la faiblesse de la conscience identitaire, encore chargée, cinquante ans, cent ans et plus après les traumatismes, d’un complexe de culpabilité ou d’illégitimité. Le complexe de l’enfant adoptif, comme l’analysait Hoffet, qui se sent toujours en défaut, suspecté de ne pas être entièrement ce qu’il devrait être, et qui en rajoute en déclarations de fidélité.

Ces complexes et le malaise qu’ils génèrent ne sont plus tellement vivaces pour les jeunes générations qui sont aux commandes, supposons-le. Mais plus profonde, plus déterminante, imprimée dans toutes les têtes, il y a l’idée simple, à la fois arithmétique et morale, non réfléchie, que grand est mieux que petit, que plus grand marque un progrès, signifie un bénéfice, va dans le sens de l’histoire. Valeureux donc ceux qui sont… En Marche ! Ringards, sentant la poubelle, ceux qui s’attachent au passé et veulent demeurer dans les anciennes limites.

Notre mentalité est ainsi façonnée que la partie s’annonce toujours idéologiquement inégale entre le camp des progressistes, vent en poupe, et le camp de leurs opposants, disqualifiés d’avance comme rétrogrades. Nous, qui voulons que l’Alsace soit respectée dans ses dimensions historiques, nous voilà placés sur la défensive, dans une position vulnérable de repli.

Deux visions de l’histoire

Passons à l’offensive. Le problème, en profondeur, est philosophique. Mettons en question cette idée, qui paraît si naturelle, d’une supériorité du « grand », et que le vent de l’histoire pousse l’humanité vers la constitution d’entités politiques et sociales de plus en plus grandes et complexes. Jusqu’où ? On nous serine qu’il n’y aurait pas d’autre avenir possible. La mondialisation, qu’on invoque, qui n’est que celle des échanges, et non des États, pourrait, au contraire, susciter le besoin de multiplier et préserver de petites unités politiques dans lesquelles seules peut s’organiser une vraie vie démocratique, participative et délibérative, où les représentants élus sont contrôlables, leur responsabilité clairement engagée et visible.

Dans les années 1970, un économiste britannique, Schumacher, s’éleva contre les tendances au gigantisme et la valorisation idéologique du more et du big. Il rendit populaire le slogan Small is beautiful, ce n’est qu’un slogan, mais il appela à expérimenter une société et une économie « à la mesure de l’homme » (as if people mattered). « Quand une société dépasse sa taille optimale, les problèmes qu’elle rencontre croissent beaucoup plus vite que les moyens humains pour les traiter. »

De nos jours un jeune philosophe français, Olivier Rey, reprend ces analyses et ces avertissements. Il exagère lui-même sûrement quand il affirme que les crises inhérentes à la modernité ont pour unique cause la taille excessive (bigness) des sociétés et des usines de production industrielle et agricole. Unique ? Non. Mais on vérifie que « partout où une chose ne va pas, cette chose est trop grande. »

Ne haussons pas les épaules. Réfléchissons. Ce qui ne va pas avec les socialistes jacobins qui nous gouvernent, c’est qu’ils ne conçoivent même pas et ne veulent pas que les régions soient des sociétés, vivantes , vivant leur vie ; pour eux, les régions ne doivent être rien d’autre que – ah ! ce langage technocratique – des territoires administratifs de la République.

« Il n’y a pas de peuple alsacien, il n’y a qu’un seul peuple français », avons-nous dû entendre. En termes plus incisifs : Il n’y a pas de société régionale, il n’y a qu’une seule société française. C’est juste terrible !

Jean-Paul Sorg

Note bibliographique

Lire E. F. Schumacher, Small is beautiful, 1973, éd. française Le Seuil, 1978. Olivier Rey, Une question de taille, éditions Stock, 2014.

 

Saupoudrage des aides aux communes rurales : l’ACAL fait fausse route

par Jean-Philippe Atzenhoffer, docteur en sciences économiques de l’Université de Strasbourg. 7 avril 2016.

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Le mardi 29 mars 2016, le président de la région ACAL présente un plan régional de soutien à l’investissement des communes de moins de 2 500 habitants qui constitue le premier volet du Pacte de ruralité approuvé par le conseil régional en janvier 2016. Concrètement, la région financera plus de 1 000 projets dans les petites communes pour une enveloppe globale de 23 millions d’euros.

Dans cet article, nous analyserons la pertinence de ce plan de soutien aux communes à travers les principes de l’économie publique. Nous constaterons que différentes caractéristiques du plan sont contradictoires avec les critères d’efficacité des aides publiques.

Le plan régional de soutien à l’investissement des communes

Destiné aux communes de moins de 2 500 habitants, soit 93% des communes d’ACAL, le plan prévoit de verser des aides à hauteur de 20% du coût HT des travaux, avec un plafond à 20 000 euros. En affectant 23 millions d’euros à des projets inférieurs à 20 000 euros, on obtient effectivement la prévision de  1 200 projets financés, pour près de 5 000 communes éligibles au dispositif.

D’après la présentation officielle du plan, les projets ciblés viseront à « améliorer la qualité et le cadre de vie des habitants ». Il est également question de « répondre à des besoins non ou insuffisamment couverts, et dont la réalisation ne peut débuter faute de financements publics suffisants ».

Le dispositif vient s’additionner avec le plan de soutien à l’investissement public local initié par l’Etat, dont l’ACAL est dotée de 77 millions d’euros. La majeure partie des fonds sera affectée à un panel très large d’interventions. Par exemple :

  • la rénovation thermique des bâtiments publics,
  • l’accompagnement à la transition énergétique,
  • le développement des énergies renouvelables,
  • la mise aux normes des équipements publics,
  • le développement d’infrastructures en faveur de la mobilité et de la construction de logements,
  • les hébergements et les équipements publics nécessaires du fait de l’accroissement du nombre d’habitants.

Ainsi, diverses opérations pourront être financées à la condition que le projet « participe directement à l’attractivité et au dynamisme du territoire et s’inscrive dans une politique cohérente du type projet de territoire ». Ces termes, très généraux et vagues, montrent l’absence de priorité claire, ce qui laisse la porte ouverte à n’importe quel type de financement.

En conclusion, les plans d’aide à l’investissement de l’Etat et la région ACAL possèdent les caractéristiques suivantes :

  1. Le cofinancement des projets par de multiples acteurs.
  2. Le saupoudrage des aides ; des montants faibles attribués à une multitude d’acteurs.
  3. L’absence de priorités précises et ciblées, ce qui est généralement le cas des dispositifs avec émiettement des aides.

Des plans en contradiction avec les principes de l’économie publique

Le cofinancement de projets par différentes collectivités est souvent critiqué du fait de la complexité engendrée et le manque de transparence dans les choix publics. En microéconomie de l’économie publique, le cofinancement peut néanmoins trouver une justification si un projet génère un impact au-delà des limites de la collectivité : une collectivité supra-communale comme la région pourrait aider un projet si celui-ci génère des effets bénéfiques sur un territoire plus large que celui de la commune. Les économistes parlent dans ce cas d’externalités positives.

Par exemple, la présence d’une médiathèque dans une ville bénéficie également aux habitants des communes environnantes qui ne peuvent pas se doter d’une infrastructure aussi lourde. Il est dans ce cas justifié de cofinancer la médiathèque par une aide d’une plus grande collectivité.

Le problème, c’est que les projets engendrant des externalités au-delà du périmètre communal nécessitent des investissements importants. Au lieu de sélectionner un nombre limité de projets d’envergure, le plan d’aide proposé par la région ACAL pratique au contraire un émiettement de subventions d’un montant très faible. Le saupoudrage est contradictoire avec la volonté affichée de contribuer à « l’attractivité et au dynamisme du territoire », qui nécessite des projets structurants majeurs.

Une autre justification de l’aide aux petites collectivités est de pallier leurs manques de ressources financières. Il est vrai que les communes subissent la baisse des dotations de l’Etat, et que la tendance se poursuivra au moins jusqu’en 2017. L’intervention d’une supra-collectivité est ainsi utile dans le cas où un projet, malgré sa pertinence, est hors de portée des moyens de la commune.

Certes, pour les projets importants qui dépassent les capacités d’autofinancement, les communes peuvent recourir à l’endettement. C’est une pratique courante et normale à partir du moment où la dette est maitrisée. Toutefois, pour les projets plus ambitieux, une subvention d’investissement peut être nécessaire pour qu’ils voient le jour. Pour pallier les manques de ressources financières des communes pour les travaux majeurs, il faut octroyer des aides importantes et ciblées sur les meilleurs projets. Une nouvelle fois, ce n’est pas ce qui a été décidé en misant sur le saupoudrage des aides.

Effet d’aubaine et coût administratif

Le plan d’aide à l’investissement pose également d’autres questions économiques. La région impose que les projets aidés par le plan débutent avant la fin 2016. Au vu des délais administratifs, il faut que les projets soient déjà préparés à ce jour (ou au moins en cours de préparation). Or, s’ils sont déjà préparés, c’est qu’ils sont déjà dans la grande majorité des cas financés sans ce coup de pouce. Dans ces cas, l’aide ne va pas être un élément déclencheur des projets.

Il est donc probable qu’une partie des subventions soient captées par les communes dont le financement des projets est déjà bouclé. C’est ce qu’on appelle un effet d’aubaine, qui profitera aux communes ayant les capacités de lancer des projets, c’est à dire les plus riches. Par conséquent, il est surprenant que la région ACAL annonce que les 23 millions investis engendreront « un effet levier pouvant aller jusqu’à 120 M€ d’investissements publics sur le territoire, générant 500 M€ de travaux ». Un tel effet de levier parait tout à fait irréaliste.

Enfin, au vu du nombre de dossiers financés et du faible montant des subventions, on peut s’interroger sur le coût administratif du dispositif. Des milliers de maires vont remplir des formulaires de demande d’aide avec la description du projet, le détail du coût HT des travaux, le planning de réalisation, le plan de financement. Il est vrai que cela ne représentera pas beaucoup de travail pour les projets déjà financés par ailleurs, mais dans ce cas l’aide n’est pas pertinente. Les coûts administratifs seront également importants du côté de la région, puisqu’il faudra examiner les dossiers et les faire approuver par la Commission Permanente du Conseil Régional.

De plus, le nombre important de dossiers ne rend-il pas illusoire tout examen approfondi sur la qualité des projets ? La pratique du saupoudrage des aides étant souvent associée à des pratiques clientélistes, on peut se demander sur quels critères objectifs il est possible d’arbitrer entre un tel nombre de projets. Si le processus de sélection manque de rigueur, il existe un risque que les ressources soient affectées en fonction des intérêts des conseillers régionaux, qui veilleront à ne pas oublier leur commune d’origine.

Conclusion

En France, le problème de la dispersion des aides et l’absence de priorité se retrouve également au niveau de l’Etat, notamment pour la gestion des Fonds Structurels Européens (selon la Cour des Comptes). Il est vrai qu’un des principes fondamentaux mis en avant par l’Union Européenne pour l’efficacité des aides est la concentration spatiale, c’est-à-dire la réduction du périmètre spatial de la politique régionale afin d’accroitre son efficacité. C’est d’ailleurs probablement en vertu de ce principe que l’Union Européenne a recommandé que – malgré la fusion des régions – les Fonds Structurels restent affectés au niveau des anciennes régions.

Au niveau de l’ACAL, la conception du plan de soutien à l’investissement des communes souffre des mêmes défauts. Il ne correspond pas non plus aux préconisations de l’économie publique. En finançant une multitude de communes, il semble répondre à une logique politique, au détriment de la rationalité économique. Pour être efficaces, ces fonds devraient être utilisés dans un nombre restreint d’infrastructures indispensables au développement économique. Les choix retenus pour attribuer les subventions risquent au contraire d’entrainer un gaspillage de ressources, d’autant plus problématique qu’elles sont rares en période de disette budgétaire.

Jean-Philippe Atzenhoffer

Note : une partie des concepts utilisés vient de l’article académique de Gilbert et Thoenig : cofinancements publics, des pratiques aux réalités, revue d’économie financière 51, p45-78, 1999.

Pour sauver le régime local d’assurance maladie, changeons la constitution

par Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local. 5 avril 2016.

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Depuis plusieurs dizaines d’années un processus de transformation de la protection santé est en cours en France : une part croissante de cette protection passe du régime légal de la sécurité sociale à un système conventionnel par des assurances privées. Cette évolution menée aussi bien par les gouvernements de gauche que de droite n’a jamais fait l’objet d’un débat clair soumis à l’appréciation des citoyens. Aujourd’hui c’est moins de 50% des dépenses de santé qui sont remboursés par la sécurité sociale, le reste étant couvert par des assurances complémentaires.

Cette évolution n’a eu lieu que de manière beaucoup plus limitée en Alsace à cause de l’existence du régime local d’assurance maladie grâce auquel la sécurité sociale couvre une plus grande part des dépenses de santé.

La principale différence entre le système des complémentaires et le système de l’assurance maladie est que les cotisations des premières sont basées sur le risque que présentent les assurés, alors que celles des secondes sont basées sur leur revenus. Le facteur solidarité est plus grand dans ce dernier cas.

Avec la loi du 14 juin 2013, les assurances complémentaires santé sont généralisées pour les salariés et doivent être prises en charge au moins pour 50 % par les employeurs. Le régime local de sécurité sociale est quant à lui couvert à 100% par les salariés. La loi de 2013 n’a pas précisé selon quelles modalités ce régime local devait être adapté à ce nouveau contexte.

Faut-il généraliser le système du reste de la France à l’Alsace Moselle,  y étendre le principe d’une participation de 50% des employeurs, ou laisser le régime local en l’état ?

On constate d’abord que de telles questions ne peuvent être décidées par les Alsaciens et les Mosellans, ni directement ni par des instances représentatives. Il n’y même pas de procédure de consultation organisée.

On  apprend ensuite que même le Parlement national pourrait ne pas être compétent pour prendre des décisions développant un droit particulier à un territoire. Selon le rapport parlementaire établi sur cette question, la jurisprudence constitutionnelle ne permet pas que le Parlement puisse modifier le droit local. Il peut juste…. le supprimer ! Pour réformer le régime local d’assurance maladie, faut-il dès lors changer la Constitution.

Cet exemple nous montre une fois de plus les limites de la démocratie régionale en France. Pour renforcer celle-ci et pour donner un avenir au droit local, il faudra davantage que reconstituer la Région Alsace dissoute. Seule une nouvelle Région Alsace dotée d’un pouvoir  normatif permettrait d’adapter et d’enrichir le régime local. Sa pérennité passe par un changement constitutionnel en France, dans le sens d’une véritable régionalisation.