Strasbourg a été désignée comme chef-lieu de la future région ACAL. Cette décision, dérogatoire aux règles de droit commun, a de toute évidence été prise pour lui attribuer un rôle plus important dans la nouvelle organisation territoriale. Elle semblait viser à contribuer à contenir les oppositions à la fusion dont la classe politique alsacienne s’était emparées. Dans une note juridique reproduite ci-dessous, Jean-Marie Woehrling montre que cette désignation n’a en réalité qu’une portée limitée.
Jean-Marie Woehrling est président de l’Institut du Droit Local, de l’association Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle, et membre fondateur du Club Perspectives Alsaciennes.
Quelle est la signification des dispositions de l’article 2 de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions en ce qui concerne la désignation de Strasbourg comme chef-lieu de la nouvelle région ?
Cet article dispose à la fin du I:
« 4° Par dérogation aux 2° et 3° du présent I, Strasbourg est le chef-lieu de sa région ».
Quelles sont les dispositions auxquelles il est ainsi dérogé ? :
« 2° Son chef-lieu provisoire est fixé par décret pris avant le 31 décembre 2015, après avis du conseil municipal de la commune envisagée comme siège du chef-lieu et des conseils régionaux intéressés. L’avis de chaque conseil régional est rendu après consultation du conseil économique, social et environnemental régional et après concertation avec les représentants des collectivités territoriales, des organismes consulaires et des organisations professionnelles représentatives. Ces avis sont réputés favorables s’ils n’ont pas été émis dans un délai de trois mois à compter de la transmission du projet de décret par le Gouvernement ;
3° Son nom et son chef-lieu définitifs sont fixés par décret en Conseil d’Etat pris avant le 1er octobre 2016, après avis du conseil régional de la région constituée en application de l’article 1er rendu dans les conditions prévues au II du présent article » ;
Les dispositions relatives à Strasbourg dérogent donc aux règles de droit commun relatives à la détermination du chef lieu de la région :
il s’agit bien du chef lieu de la région comme collectivité territoriale est non du chef lieu de la région comme circonscription de l’Etat (prefecture) : la loi porte exclusivement sur la région comme collectivité territoriale ; le chef lieu des circonscriptions administratives de l’Etat est déterminé par le Gouvernement et non par la loi.
Ces dispositions concernent aussi bien la désignation provisoire que la désignation définitive du siège du chef lieu de la région.
Strasbourg est ainsi définitivement chef lieu de la nouvelle collectivité régionale. Mais qu’est ce que cela signifie ?
Aucune disposition du code général des collectivités territoriales ne précise de façon générale quelles sont les conséquences juridiques qui s’attachent à la désignation d’une commune comme chef lieu d’une collectivité régionale. Toutefois, on trouve un certain nombre d’indications dans certains des articles de ce code (dans sa version en vigueur avant la loi du 16 janvier 205) : L’article R 4134-8 dispose que « le conseil économique, social et environnemental régional siège au chef-lieu de la région. Le président dudit conseil peut, en accord avec le président du conseil régional, le réunir en un autre lieu ». L’article L 4122-2 précise que « le transfert du chef-lieu d’une région est décidé par décret en Conseil d’Etat après consultation du conseil régional et des conseils départementaux ainsi que des conseils municipaux de la ville siège du chef-lieu et de celle où le transfert du chef-lieu est envisagé ». Aux termes de l’article L 4135-19-2 « lorsque la résidence personnelle du président du conseil régional se situe en dehors de l’agglomération comprenant la commune chef-lieu de la région et que le domaine de la région comprend un logement de fonction, le conseil régional peut fixer par délibération les modalités selon lesquelles ce logement lui est affecté. Lorsque le domaine de la région ne comporte pas un tel logement, le conseil régional peut, par délibération, décider d’attribuer au président une indemnité de séjour, dans la limite des indemnités journalières allouées à cet effet aux fonctionnaires de l’Etat, en raison des frais qu’il a engagés pour être présent au chef-lieu de la région pour assurer la gestion des affaires de la région ».
Par contre, l’article L 4132-5 précise : « le conseil régional a son siège à l’hôtel de la région. L’emplacement de l’hôtel de la région sur le territoire régional est déterminé par le conseil régional ». L’article L 4132-8 ajoute : « le conseil régional se réunit à l’initiative de son président, au moins une fois par trimestre, dans un lieu de la région choisi par la commission permanente ».
On voit que la portée de la désignation d’une localité comme chef lieu de région reste assez indéterminée. La loi du 16 janvier 2015 ajoute à cette indétermination. En effet, les II. III et IV de l’article 2 de cette loi disposent :
« II.- Dans les régions constituées par regroupement de plusieurs régions, le conseil régional élu au mois de décembre 2015 se réunit provisoirement au chef-lieu de la région.
Pour l’application du 3° du I du présent article et par dérogation aux articles L. 4132-5 et L. 4132-8 du code général des collectivités territoriales, le conseil régional adopte, avant le 1er juillet 2016, une résolution unique comportant :
1° L’avis au Gouvernement relatif à la fixation du nom définitif de la région ;
2° L’avis au Gouvernement relatif à la fixation du chef-lieu définitif de la région ;
3° L’emplacement de l’hôtel de la région ;
4° Les règles de détermination des lieux de réunion du conseil régional et de ses commissions ;
5° Les règles de détermination des lieux de réunion du conseil économique, social et environnemental régional et de ses sections ;
6° Le programme de gestion des implantations immobilières du conseil régional.
Cette résolution ne peut prévoir qu’une même unité urbaine regroupe le chef-lieu proposé, l’hôtel de la région et le lieu de la majorité des réunions du conseil régional que si elle est adoptée à la majorité des trois cinquièmes des membres du conseil régional. A défaut de résolution unique adoptée, les avis prévus aux 1° et 2° du présent II sont réputés favorables et les délibérations fixant l’emplacement de l’hôtel de la région et les lieux de réunion du conseil régional ne peuvent prévoir qu’ils sont situés dans la même aire urbaine que le chef-lieu.
Les règles fixées aux 3° à 6° sont applicables pendant le premier mandat suivant le renouvellement des conseils régionaux après la promulgation de la présente loi. Elles peuvent être modifiées pendant ce mandat par une résolution adoptée dans les mêmes formes.
III.- Au premier alinéa de l’article L. 4121-1 du code général des collectivités territoriales, les mots : « la loi » sont remplacés par les mots : « décret en Conseil d’Etat ».
IV.- L’article L. 4132-5 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’emplacement de l’hôtel de la région sur le territoire régional est déterminé par le conseil régional. »
Il résulte de ces dispositions que la désignation du siège de la région n’a qu’un intérêt limité. La loi distingue entre d’une part le chef lieu, sans plus avant spécifier sa fonction, et d’autre part le lieu d’implantation de l’hôtel de région ainsi que le ou les lieux de réunion du conseil régional, du comité économique et social et de leurs commissions respectives et elle précise que des décisions spécifiques des conseils régionaux définissent les lieux de réunion du conseil régional et du conseil économique et social ainsi que des implantations immobilières.
Il est expressément prévu que ces activités et implantations peuvent être réparties entre plusieurs localités.
Conclusion
En d’autres termes, le chef lieu de région est une notion essentiellement formelle. On peut la comprendre (et encore est-ce bien sûr ?) comme correspondant au siège de l’exécutif, c’est-à-dire du président du conseil régional, mais elle ne détermine nullement la localisation de l’hôtel de région, ni celle du conseil régional ou du conseil économique et social, ni même celle des services. Dès lors, la désignation par la loi de Strasbourg comme chef-lieu de région a une portée limitée.