Philosophie et démocratie

« Désir d’Alsace » et sens de l’histoire

« Vous voulez savoir ce que désirent les Alsaciens ? Mais le savent-ils eux-mêmes ? La question me semble mal posée. Il ne s’agit pas de savoir ce que nous désirons, mais ce qu’il nous faudrait. »

Robert Heitz, Mon ami Hans, 1954

L’Alsace, une fois de plus, a voté grosso modo comme les autres régions françaises. Le taux d’abstention, que l’on peut interpréter partiellement comme un taux de protestation, n’y a guère été plus élevé qu’ailleurs dans l’Hexagone.

Nouvelle preuve, s’il en fallait encore une, que l’Alsace par ses orientations politiques, ses champs d’intérêt, ses réflexes, est bien tout à fait française, parfaitement apprivoisée et assimilée. Lors du match France-Allemagne de la coupe d’Europe, les fans clubs alsaciens ont vibré pour les Bleus. De même, lors du match avec la Suisse, jusqu’au dernier souffle. L’adhésion, le sentiment d’appartenance des Alsaciens à la France est une évidence sensible en toute occasion. Républicains et Patriotes divers seraient donc mal venus de les soupçonner de tendances séparatistes !

La souffrance du désir

Le « désir d’Alsace », qu’un préfet avait diagnostiqué, que les sondages détectent, est une souffrance (un « pathos », ein Leiden), pas une colère. Pour le moment, il paraît éteint et ne se manifeste plus dans la rue. Faible, « timide », selon un titre du journal L’Alsace (édition du 23 juin), il ne s’est pas exprimé politiquement dans les urnes, ni aux élections départementales ni aux régionales. Qu’est-ce que ce désir vraiment ? En tout cas, ce n’est pas l’installation de la CEA et les obscures, technocratiques, cabalistiques lois 4D, puis 3 DS, qui vont le combler. Le commun des citoyens n’y comprend rien et n’en croit rien.

On ne l’a pas dit assez nettement. L’abstention massive, culminant à 84% chez les 18-24 ans, sanctionne (punit) un échec global de la politique de décentralisation, une politique de gribouille, de gribouillis, pas seulement par « chez nous, dans le Grand-Est, mais sur l’ensemble du territoire national. Tout serait à refonder. La France ne veut pas et ne peut pas.

Elle ne peut pas. 4 D voulait dire en mai : Différenciation, Décentralisation, Déconcentration, Décomplexification. En juin, les législateurs à la besogne ont remplacé ce dernier D (quasiment un néologisme) par un S : Simplification, et accouché de la 3 DS. La « simplification » est la cerise sur le gâteau (beaucoup de crème, genre Forêt-Noire). Explicitement, la loi portera « diverses mesures de simplification de l’action publique » (sic). Comment prendre de tels intitulés au sérieux ? Comment ne pas éclater de rire ? Qui ne voit ici clairement qu’à force de bricoler et de ne pas y aller d’une réforme franche, on obtient le contraire ? On complique à l’extrême, en y perdant son… français ! La ministre de la Cohésion des territoires reconnaît elle-même, à voix basse : « Ce n’est pas une grande loi de décentralisation ».

Le gouvernement (la France) ne comprend par « décentralisation » rien de plus qu’un effort de « déconcentration ». Les deux termes sont bêtement redondants. Mais 4 D ou 3 D impressionne plus que 2 D ! Pure affaire de rhétorique. Le mot qu’on veut éviter à tout prix est « Régionalisation ». Car il suggérerait que le mouvement de la réforme, l’action politique, partirait d’en bas, de la base, des régions elles-mêmes qui auraient en personne l’initiative de déterminer et de réclamer les différences qu’elles veulent. Or, une telle pratique démocratique est exclue par « l’idéologie française » imprimée dans les structures administratives en place et les habitudes mentales de la classe politique qui se bouscule aux manettes.

Dans ces conditions, une référence elle-même idéologique au girondisme, opposé au jacobinisme dominant – « Je me définis comme un élu centriste et girondin » -, n’est pas crédible.

Au son du pipeau

Des députés et sénateurs ont eu l’idée de créer des « fonds souverains régionaux », qui seraient alimentés par l’épargne des Français et serviraient à financer des opérations d’investissement local. « Souverain » est en l’occurrence un mot chantant, qui épate et détourne l’attention des solutions simples : reconnaître aux régions une vraie autonomie financière, le pouvoir de lever des impôts spéciaux en fonction de besoins spécifiques.

Tous les présidents de région veulent (désirent) naturellement conserver leur territoire et plus de pouvoirs. Ils comparent leurs moyens avec ceux de leurs homologues dans les pays voisins et évoquent les « régions à l’Allemande » (L’Alsace, 9 juillet), sachant qu’en France, bien sûr, c’est impossible.

Pas d’impatience surtout, pas de passion : « Il faut laisser la CEA s’installer et mûrir ». Qu’elle commence par fonctionner et faire ses preuves. Ensuite ? Ses compétences resteront soigneusement encadrées et limitées. Pas plus que d’autres collectivités elle ne pourra transférer, « se voir transférer » (forme passive), de compétences législatives, ni régaliennes évidemment ni même régionales. La ministre de la cohésion a mis les points sur les i et enfoncé le clou. « Les élus locaux ne l’ont d’ailleurs pas demandé. » C’est vrai, ça. Ils sont si timides, ils ont si bien intériorisé les interdits qu’ils n’ont même pas osé y penser. Leur renoncement anticipé paraît définitif, leur absence d’imagination créatrice entière et entérinée.

L’installation des quinze vice-présidents par la première nouvelle assemblée le 1er juillet en a donné une illustration désespérante. La CEA, c’est en principe une Alsace une, et sinon indivisible, du moins plus divisée en deux départements concurrents. Et qu’est-ce qu’on établit ? Sept territoires. Des territoires aussi flous que Nord- Sud- Ouest- Centre-Alsace, plus les territoires des trois villes, l’Euro-métropole de Strasbourg, l’Agglo de Mulhouse et Colmar. Ces trois territoires urbains et suburbains n’ont-ils pas déjà, chacun, leur maire et x vice-présidents ? Hop, on en remet une feuille (avec portefeuille). Non seulement la politique nationale dite de différenciation multiplie à l’envi les territoires factices, sans respecter les anciennes régions historiques, mais ces régions et même les départements sont poussés en interne à procéder de la même façon.

Le 1er vice-président du conseil de la CEA est chargé du territoire Centre et de « l’Equité territoriale ». Mais qu’est-ce que cela signifie ? C’est calqué, on dirait, sur « Cohésion du territoire ». Et tous ces vice-président(e)s ! Une dénomination tout à fait artificielle. Parce que la loi ne tolère pas de « ministres » à ce niveau des « Conseils », qui en aucun cas ne sont des « Assemblées ». Alors, cela ressemble fort à rien d’autre qu’à une distribution politiquement (partisanement) dosée de postes, donc de prébendes (au sens strict), comme dans un système féodal.

Certains citoyens idéalistes, ayant l’Alsace – et l’alsacien – à cœur, attendaient que le premier ou le second vice-président soit en charge de l’enseignement bilingue et de la culture régionale, qu’il ait des pouvoirs affirmés pour organiser et garantir la formation des enseignants dont la Collectivité a besoin, pour concevoir, construire et ouvrir quelque chose comme une indispensable Ecole Normale Régionale, à dimension rhénane, car il faudra bien faire appel aux ressources linguistiques de nos voisins – et ne cultivons-nous pas en discours la coopération transfrontalière ?

Mais où se trouve donc, dans l’organigramme, le poste Bilinguisme ? C’est la 13e vice-présidence, la 13e roue du bringuebalant carrosse, et encore pas la roue entière, un quart de roue. Car elle est composée de quatre pièces : Jeunesse, Sport, Réussite éducative et, la dernière, Bilinguisme. Quelle politique linguistique peut-on attendre de là ? Remarquez « Réussite éducative » qui précède, qui doit être une cause indiscutable et ne veut rien dire ici de concret. Encore un de ces mots de réclame, de pure comm. On nous rappellera sèchement que rien de l’enseignement, de son contenu, de ses programmes, ne saurait relever d’autre chose que de l’Education nationale.

La ligne de mire autonomiste

Qu’est-ce qui, de la CEA telle qu’elle est partie et telle qu’elle s’exprime, peut répondre maintenant au « désir d’Alsace » et le calmer ? Que lui sera-t-il permis ? Par exemple de gérer 6 400 km de routes et leurs infrastructures. La belle affaire ! Les routes nationales ont toujours été bien entretenues en Alsace. Que ce soit un service assuré directement par des organismes de l’Etat central ou par le département, la différence n’est pas capitale ! La CEA jouira de quelques compétences dans le domaine social : de la petite enfance au grand âge. Rien de plus qu’une déconcentration managériale de services qu’une société civilisée a de toutes les façons possibles le devoir d’assurer.

Qu’est-ce que les Alsaciens consultés désirent vraiment ? « Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir » (disait Platon) ! On désire être libre de devenir ce qu’on est – et plus, de devenir ce qu’on estime avoir le droit d’être, de par le passé, de par son identité. Cela suppose la jouissance de libertés précises que l’on définira et construira soi-même avec autrui, selon des accords négociés dans un cadre commun. Le président-roi Jean a beau tonner : « On ne refera pas le match, on ne reviendra pas en arrière, aux anciennes petites régions… » Non, mais on n’aura de cesse de rebondir et de continuer à lutter pour arriver à des formes d’autonomie. Car la finalité d’une autonomie dans le cadre de la nation française, certes, et celle-ci dans le cadre de l’union européenne, certes, est programmée par l’histoire, programmée par le progrès démocratique.

Le combat moderne pour l’autonomie donc, qui n’implique nullement une séparation et l’indépendance, ça va de soi, a commencé en Alsace sous le second Empire allemand, dès 1874, en protestation contre « l’Annexion ». L’aboutissement de la fronde autonomiste continue, obstinée, sera la Constitution de 1911, avec un gouvernement régional et un parlement (le Landtag). Trois ans après, la guerre entraîne une dictature militaire. En vain, des Alsaciens et Mosellans chercheront-ils ensuite à conserver et à adapter, dans le cadre de la république française, les droits et les libertés politiques chèrement acquis sous la domination allemande. « L’Alsace n’existe plus. » La République ne connaît que des départements. Le besoin d’une organisation régionale ne cesse pourtant de travailler le corps politique et social de la nation. Il faudra attendre longtemps. Ce n’est qu’en 1982, sous le premier gouvernement socialiste de la Ve République, que les lois Defferre feront émerger l’Alsace comme une région historique avec un Conseil élu au suffrage universel. Ses pouvoirs étaient bien limités, mais ce ne devait être qu’une première étape sur le chemin d’une régionalisation tendant progressivement vers des formes contrôlées d’autonomie (quelque peu à l’allemande).

La loi du 25 novembre 2014, qui absorbe l’Alsace dans une méga-région, qui sera appelée Grand-Est, n’est pas sous couvert de modernisation une avancée ; elle va contre le sens de l’histoire ; c’est une régression démocratique, une forfaiture politique qui ne s’oublie pas. Elle a éveillé un « désir d’Alsace » qui, bien compris, ne peut viser maintenant qu’une autonomie positive. Le désir d’Alsace épouse le sens de l’histoire. C’est dans ce sens qu’il nous faut continuer à… ramer, à diriger notre… nef.

Jean-Paul Sorg

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Discours de Jean Castex : le combat des Alsaciens est légitime

Passéistes, égoïstes, repliés sur eux-mêmes. Ces dernières années, les qualificatifs infamants envers les Alsaciens se sont succédés de la part des thuriféraires de la fusion des régions. Certes, nous comprenons bien que ceux qui ont retourné leur veste, à défaut d’avoir des arguments pour justifier une réforme injustifiable, en soient réduits à user d’accusations diffamatoires. Elles n’en sont pas moins iniques, étant donné que les Alsaciens portent au quotidien de nombreux projets de coopération dans l’espace rhénan et revendiquent le développement du bilinguisme au travers de diverses associations.

Depuis cinq ans, le Club Perspectives Alsaciennes propose un nouveau projet pour l’Alsace, et dénonce les tentatives d’intimidation malsaine visant à culpabiliser les Alsaciens. Fort heureusement, elles ne fonctionnent plus. La ministre Brigitte Klinkert le 2 janvier 2021 lors de l’installation de la Collectivité européenne d’Alsace, a souligné la « résilience du peuple alsacien » qui a permis une première avancée. Au plus haut niveau du gouvernement, le premier ministre a insisté dans son discours de Colmar du 23 janvier 2021 sur la légitimité de la contestation alsacienne.

Non seulement le gouvernement reconnait que la réforme de 2015 fusionnant les régions est un ratage, mais il reconnait aussi que la démarche alsacienne visant à s’en émanciper est légitime. Il a fustigé les « immenses régions, dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité ». Bien évidemment, tout le monde aura compris qu’il visait en particulier la région Grand Est.

Toutefois, au-delà des discours et du constat sur l’inanité des nouveaux mastodontes régionaux, l’important est de concrétiser cela par une réforme mettant fin à ces aberrations territoriales, pour remettre de l’efficacité et de la proximité dans l’action publique en France. En ce sens, non seulement la démarche alsacienne est légitime, mais elle est même salutaire !

Enquête : « L’Alsace que nous souhaitons »

A la faveur de la naissance de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), Lionel et Céline Lutz ont réalisé un énorme travail d’enquête en réalisant une enquête sur plus de 850 personnes. A n’en pas douter, il s’agit d’une contribution majeure pour continuer à alimenter les débats auprès des élus, à quelques mois des élections.

Les DNA se sont fait l’écho des conclusions de l’enquêtes : Erstein. « L’Alsace que nous souhaitons » : les résultats d’un sondage autour du devenir de la région (dna.fr). Dans ce recueil de doléances, les Alsaciens donnent à la CEA la mission de sortir du Grand Est pour former une nouvelle région Alsace. Ils souhaitent un renforcement des compétences dans divers domaines, dont le le bilinguisme ou la préservation du patrimoine.

D’autres questions comme la fermeture de la centrale de Fessenheim ou du Grand Contournement Ouest de Strasbourg sont abordées. Cette enquête approfondie constitue un travail remarquable, riche d’enseignement.


Bonne lecture !

Permanence de l’ostracisme anti-alsacien

Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local et membre fondateur du CPA, dénonce les propos de certains responsables politiques qui instrumentalisent les actes visant la communauté juive pour présenter les Alsaciens comme obscurantistes et antisémites.

La littérature consistant à accuser la population alsacienne d’être antisémite et d’avoir des sympathies pour l’extrême-droite, voire d’avoir des collusions avec les mouvements néonazis correspond à un fil continu dans la presse parisienne alimentée par les médias locaux et soutenue par certains intellectuels alsaciens fidèles à la stratégie du dénigrement de leur propre camp pour être bien considérés par l’élite parisienne. Depuis 20 ans, le journal Le Monde publie régulièrement des articles stigmatisant une population alsacienne votant pour l’extrême-droite et noyautée par des courants  qui diffusent une « nostalgie suspecte ».  L’attachement à l’identité locale et le souhait du renforcement de l’autonomie régionale, considérés comme des courants sympathiques et positifs quant il s’agit d’autres régions, deviennent pour l’Alsace « repli identitaire » et sympathies germanophiles, donc protofaschistes. Selon ces amalgames inlassablement répétés, cette culture et ces traditions seraient depuis le Moyen-âge profondément antisémites sans que rien n’ait vraiment changé faute d’un aveu collectif et d’une épuration efficace. D’ailleurs, cette population n’aurait jamais fait son autocritique après sa cohabitation, présentée comme forcée mais de fait diligente, avec le régime nazi. Encore maintenant, elle cherche à disculper les siens qui ont combattu dans les unités SS. Le devoir de mémoire devrait la conduire à reconnaitre ses crimes collectifs, mais elle refuse d’examiner son histoire et se complait dans des aspirations antifrançaises (la défense de la langue allemande, la collaboration avec l’autre coté de la frontière, la critique des institutions françaises présentées comme jacobines, etc..).

On pourrait multiplier à l’envi les exemples de ce genre de condamnations. Elles étaient systématiques après la 2e guerre et sont arrivées à un paroxysme avec le procès d’Oradour. Mais encore dans une période récente, Robert Grossmann a accusé de pangermanisme les auteurs alsaciens les plus réputés (Weckmann, Finck, Winter). Le manifeste Identité et Liberté qui protestait contre l’amalgame fait dans la presse entre culture régionale et extrême droite a été qualifié, sans la moindre amorce de justification, d’antifrançais et d’antisémite. Le mouvement Unser Land peut multiplier les déclarations de solidarités avec les réfugiés, de sympathie avec la communauté juive, de volonté de construire une région pluraliste et démocratique, il est néanmoins qualifié de raciste et de xénophobe. Aujourd’hui, c’est toute une population qui est accusée de pratiquer l’omerta pour protéger les auteurs de tags antisémites, alors pourtant que la réprobation de ces tags est absolument unanime et d’une sincérité indiscutable. Dans le souci de profiter de la situation pour salir une Alsace qu’ils exècrent, des responsables politiques voire universitaires n’hésitent pas à tenter de monter la communauté juive contre le reste de la population alsacienne.

La permanence de cet ostracisme anti-alsacien remonte en fait au retour de l’Alsace et de la Lorraine à la France. Une bonne part de l’opinion française n’a jamais digéré que « ces Alsaciens pour la libération desquels des millions de Français sont morts dans les tranchés »,  se refusaient à devenir d’emblée des français comme les autres et continuaient à pratiquer leur langue allemande, à revendiquer un droit différent, à refuser la laïcité française, et même à demander une organisation régionale propre. Ces Alsaciens étaient décidément non seulement dépourvus de gratitude, mais des forcenés rétrogrades et pour un bon nombre des traitres vendu à l’ennemi, comme allait le prouver leur collaboration avec le régime hitlérien. Dans cette rancœur anti alsacienne, la palme est revenue à la gauche socialiste et nationaliste. Depuis Herriot jusqu’à Hollande son souci permanent  a été de nier la spécificité alsacienne ou du moins de la déconsidérer. Face à cette hostilité de fond, la plupart des élites alsaciennes ont choisi de rallier les élus qui choisissent de conspuer le peuple qui les a élus, de chercher des excuses comme Frédéric Hoffet, ou de réduire l’Alsace à des cartes postales comme Hansi. On les comprend : tous ceux qui n’ont pas eu cette attitude prudente ont été rejetés comme anti français, obscurantistes et revanchards. Aujourd’hui, ils seraient en plus antisémites…

Ces accusations fallacieuses visant à faire taire les revendications légitimes des Alsaciens quant à l’avenir de leur région sont profondément anti-démocratiques. Les Alsaciens, fidèles aux valeurs humanistes, ne doivent plus se laisser intimider par ces méthodes. Elles finiront alors par se retourner contre ceux qui les utilisent.

Non, il n’y a pas d’antisémitisme politique en Alsace !

Face aux insinuations concernant un soi-disant « antisémitisme alsacien » et aux tentatives récurrentes d’instrumentaliser des délits antisémites contre les revendications régionalistes, les messages suivants ont été présentés à la presse le 10 décembre dernier. Les DNA en ont d’ailleurs fait un excellent compte-rendu.

  • les profanations de cimetière sont des délits odieux qui doivent être sanctionnés sévèrement par la justice dès que les coupables seront arrêtés (sans mansuétude ni laxisme)
  • les commentaires associant l’Alsace ou les Alsaciens à ces faits commis par des individus sont inacceptables (culpabilité collective, ‘haine de soi’ anti-alsacienne, amalgame entre dialecte et nazisme, etc.)
  • le judaïsme fait partie intégrante du patrimoine culturel alsacien, et son statut juridique doit être respecté (comme celui des autres religions « reconnues »)
  • une politique d’enseignement de l’histoire et des langues régionales (y compris le yiddisch/judéo-alsacien) est la mieux à même de lutter contre la xénophobie, l’intolérance et l’antisémitisme
  • l’antisémitisme n’est pas « national » ou « régional », comme le prouve l’affaire Dreyfus (Juif alsacien…à la fois Allemand et Juif pour ses accusateurs), mais un phénomène qui ne connaît pas de frontières de pays ni de classe
  • il appartient à l’Etat, qui refuse tout transfert de compétence aux collectivités territoriales en matière pédagogique, d’inscrire dans les programmes scolaires l’héritage juif de l’Alsace (en partenariat avec la future CeA)
  • en cette période de Noël, les chrétiens savent les liens qui les unissent à la religion ‘aînée » et condamnent avec force les sentiments de haine contre ceux qui partagent la foi « originelle » de Jésus.       

Non, l’antisémitisme ne fait pas partie de l’identité politique et culturelle de l’Alsace. Notre projet pour l’Alsace vise à valoriser notre patrimoine sous toutes ses formes, y compris celui apporté par les religions qui coexistent pacifiquement sur nos terres. Et les élus du Grand Est qui instrumentalisent ces actes afin d’éteindre toute revendication alsacienne devraient avoir honte d’utiliser de telles méthodes.

Refondation de la région Alsace : osons l’innovation démocratique

par Jo Spiegel, maire de Kingersheim, connu pour ses initiatives en faveur de la démocratie participative.


Une réforme qui touche à l’organisation des pouvoirs locaux et donc à la vie quotidienne des gens, ne peut être de nature technocratique. Elle doit être d’essence démocratique. C’est-à-dire réelle et effective. Celle qui s’exerce autant dans l’intervalle des élections que pour les élections.

  • Celle qui préfère associer les citoyens et les ressources démocratiques au processus de décision, plutôt que de se complaire dans l’entre soi des élus, de la posture, des clivages et des intérêts souvent partisans.
  • Celle qui vise à fertiliser des points de vue différents, plutôt que de nous retrancher dans des affrontements stériles.
  • Celle qui veut, enfin, s’inscrire dans une éthique de la discussion et du dialogue, pour susciter l’élévation scrupuleuse du débat public.

Rien de tout cela dans la réforme des régions. C’est une réforme de la déliaison, une réforme institutionnelle sans les citoyens, sans les experts, sans les organisations et sans les élus concernés.

Dans quel espace voulons-nous nous reconnaitre, penser, agir, vivre ensemble en ouverture avec les autres ? Pour quelles visions, quels projets, quel avenir ? Telle est la question qui mérite débat, qui mérite transparence et qui mérite co-construction.

Hannah Arrendt disait de la démocratique, qu’elle est la capacité à organiser l’espace qui existe entre les gens. La haute qualité de l’organisation des pouvoirs locaux et la haute qualité démocratique sont intrinsèquement liées.

La mise en agenda de cette réforme devrait donc commencer par intégrer les préoccupations des citoyens. Il me semble qu’elles sont de 4 ordres :

  • 1ère préoccupation : quelle est l’organisation la plus efficace, la plus cohérente, la plus lisible, bref la plus respectueuse de l’usage du denier public ? la réponse n’est certes pas dans l’empilement des structures, ni dans l’enchevêtrement des compétences. Cette question est importante, elle interroge le rapport à l’efficacité des politiques publiques !
  • 2ème préoccupation : quelle est l’organisation des territoires qui parle à mon cœur, à mon vécu, qui résonne à mon sentiment d’appartenance ? ce n’est certainement pas le Grand Est ? cette question centrale interroge le rapport à l’identité. Elle concerne autant le sentiment d’appartenance régionale que celui des bassins de vie.
  • 3ème préoccupation : quelle est l’organisation la plus souhaitable ? celle qui propose plus d’étendue, qui professe le « big is beautiful », ou celle qui propose plus de compétences ? A l’évidence ce qui est revendiqué ce n’est pas l’éloignement, c’est la capacité des représentants d’agir au mieux, au service de tous, du bien commun et des habitants. Cette question interroge le rapport au pouvoir d’agir.
  • 4ème préoccupation : la préoccupation qui englobe toutes les autres est la question démocratique. Comment exister en tant que citoyen et en tant qu’élu de base, dans l’intervalle des élections ?

Il faut bien reconnaitre que les politiques sont passés maître dans l’art de conquérir le pouvoir et restent des analphabètes quand il s’agit de le partager. L’éloignement des centres de décisions participe à cette paresse démocratique et va renforcer le fossé entre les représentants et les représentés !

Je pense, pour ma part, que dans une perspective véritablement démocratique, cette réforme ne peut pas être portée dans l’entre soi des élus. Nous ne sommes pas propriétaires des institutions que nous sommes censés servir. Pas davantage l’Etat au demeurant.

J’avais proposé, à Sélestat, la mobilisation de toutes les ressources de sens, d’intelligence et d’expertise au travers d’une séquence démocratique qui pouvait prendre la forme d’une conférence du consensus. Avec la volonté de réunir citoyens, élus, organisations, experts pour aller au fond du sujet, fertiliser les points de vue différents, pour proposer le meilleur pour les Alsaciens et avec les Alsaciens.

Il me semble que compte tenu des enjeux, la chance que constitue le débat sur cette question, il faut oser l’innovation démocratique au travers d’un processus citoyen instituant plus audacieux, dans le cadre d’Etats Généraux de la refondation de la région Alsace. Dans ces Etats Généraux il faudra voir s’épanouir, partout, les débats, la transparence, l’expertise, la contribution et la co-construction.

Une Assemblée Instituante pourrait être la pierre angulaire de cette approche de « Démocratie Construction » réelle, effective et permettant de co-construire les bases d’une organisation des pouvoirs locaux, pensée réfléchie à partir avec et pour les citoyens. Cette démarche est possible. Elle est souhaitable. Elle revendique une véritable ingénierie de débat public.

Deux conditions sont nécessaires à une telle démarche innovante :

  • d’abord la volonté des Grands Elus de s’inscrire dans un tel processus, d’accepter un rapport humble au pouvoir pour mieux décider ensemble et de rappeler cette réflexion d’Hannah Arendt : « le pouvoir nait quand les hommes travaillent ensemble et disparait lorsqu’ils se dispersent ».
  • il faut, enfin, le soutien des collectivités, singulièrement des Conseils Départementaux, voire de l’Etat pour le financement, la logistique et l’ingénierie démocratique à déployer.

Une telle démarche de démocratie réelle, effective, exigeante a un coût. Celui qui permet de mieux décider ensemble.

Compliqué comme une corrida !

Une fois n’est pas coutume, le CPA publie un point de vue sur la situation en Catalogne, qui pourrait avoir des conséquences sur d’autres régions européennes. Que penser de la tentative de référendum en Catalogne qui se tient aujourd’hui ?

catalogneLe jeu politique en Catalogne est compliquée comme une corrida : planter une banderille ne signifie pas qu’on va sacrifier soi-même le ‘toro bravo’ et le public peut toujours gracier le « fauve »… Du reste  les courses de taureaux sont interdites depuis 2010 dans la province.

Entendons-nous d’abord sur les mots :

  • La Catalogne (comme le Pays Basque, par exemple) bénéficie d’un statut d’autonomie, dans le cadre de la Constitution du Royaume d’Espagne de 1976 ; un projet de réforme a en effet échoué en 2010, mais les compétences des régions espagnoles sont largement supérieures à celles de leurs « cousines » françaises.
  • Ensuite, les nationalistes catalans réclament (comme leurs amis d’Ecosse) l’indépendance ; il est vrai que cette affirmation est surtout « tactique », l’idée étant de faire évoluer la monarchie espagnole vers le fédéralisme (suivant le modèle de la Belgique) ; les questions budgétaires et fiscales semblent bloquer ce processus.
  • dès lors, la situation est d’autant plus dangereuse que personne ne veut « perdre la face » (« l’Espagnol est fier ») ; eu égard aux autres projets de réforme institutionnelle, le référendum du 1er octobre (s’il a lieu) ne résoudra rien, car c’est l’ensemble du système qu’il faut repenser (en accordant des attributs de souveraineté à la Catalogne, comme la personnalité internationale dans les organisations culturelles et sportives).

Plusieurs dangers se profilent :

  • si la confrontation entre Madrid et Barcelone devait prendre un tour violent (émeutes, etc.) le retour à la table de négociation deviendrait encore plus difficile ; l’Europe, qui ne s’est jamais occupée de la crise en Irlande du Nord sous Margaret Thatcher, ne « bougera » sans doute pas.
  • si la Catalogne devient effectivement pleinement indépendante, l’Ecosse suivra le même chemin (et d’autres régions, comme la Lombardie, pourraient être tentées), il en irait de même du Pays Basque.
  • pour la France, ces nouveaux Etats seraient des partenaires compliqués, en raison des « irrédentismes » potentiels du côté de Perpignan et de Biarritz ; une querelle supplémentaire dans le débat qui se poserait aussi au sujet de leur entrée dans l’Union européenne (que la Castille pourrait empêcher par représailles).

En comparaison, la défusion du Grand Est paraît une sinécure…

Point de vue paru dans les DNA le 30 septembre 2017.

Conférence de Pierre Kretz à Haguenau : « L’Alsace n’existe plus »

kretzPierre Kretz, ancien avocat, essayiste et metteur en scène présentera son dernier ouvrage « l’Alsace n’existe plus » dans lequel il est question de la « faillite du système démocratique français… et des méfaits et absurdités du Grand Est ».

Date : lundi le 13 mars 2017 à 20 heures

Lieu : amphithéâtre de l’I.U.T. de HAGUENAU (30 rue du maire Traband)

Affiche de la Conférence de Haguenau (pdf)

L’Alsace disparaît des livres scolaires, et bien plus encore !

Club Perspectives Alsaciennes, le 6 février 2017.

histoiregeo-hachetteSelon les DNA de ce jour, la nouvelle édition du manuel scolaire d’histoire-géographie de Hachette fait disparaître l’Alsace des cartes. La carte des nouvelles régions administratives (page 240) ne fait désormais plus mention de l’Alsace, ce qui était prévisible. Mais l’Alsace disparaît également de la carte des reliefs du pays (page 241), qui mentionne pourtant encore les Vosges et la Lorraine.

A long terme, cette tendance est dangereuse. Déjà aujourd’hui, les jeunes qui sortent du lycée ont une très mauvaise connaissance de la géographie et de l’histoire de l’Alsace, c’est à dire sa dimension rhénane, au contact direct de l’Allemagne et de la Suisse. De nombreux jeunes alsaciens ne savent même pas ce que signifie le terme  »Pays de Bade », leur connaissance du voisinage de l’Alsace se limitant souvent à Europapark. Ceci est la conséquence de l’inadéquation totale des programmes scolaires pour l’Alsace.

L’effacement de l’Alsace des programmes scolaires résonne avec d’autres mesures prises par la région Grand Est. Depuis le 1 janvier 2017, les plaques d’immatriculation sont estampillées Grand Est, les annonces dans les trains TER ont substitué le terme Alsace par Grand Est. Les exemples de ce remplacement sont déjà nombreux.

A long terme, l’effacement de l’Alsace programmée par le Grand Est est dangereux. Contrairement à ceux qui disaient qu’il s’agissait d’une réforme purement administrative, qui ne changerait rien à l’identité et au quotidien des gens, il s’agit bien d’une tentative d’imposer une nouvelle identité. Pour 2017, le Grand Est souhaite  »donner corps à une politique mémorielle qui puisse s’appliquer sur l’ensemble du territoire régional », à travers un Comité d’Histoire Régionale du Grand Est (rapport 16SP-3225 de la Commission Culture du Grand Est).

En créant de toute pièce une histoire régionale Grand Est, c’est bien une nouvelle identité GrandEstienne qu’on tentera de nous imposer. En effaçant l’Alsace partout où c’est possible, petit à petit, le Grand Est affaiblira l’identité alsacienne, pour la substituer par une identité factice imposée d’en haut.

Nous refusons cette tentative d’usurpation d’identité. Face à ce danger, nous considérons que l’avenir de l’Alsace passe obligatoirement par une sortie du Grand Est. C’est également une condition nécessaire à tout projet ambitieux pour la nouvelle collectivité territoriale envisagée par les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

 

 

Du Grand Est à l’Alsace : nous ne reviendrons pas en arrière, nous bondirons en avant

par Jean-Paul Sorg, philosophe. (article publié dans l’Ami Hebdo du 15 janvier 2017).

jpsorgNous l’aurons entendu plusieurs fois, lors des vœux de Nouvel An et pour le 1er anniversaire, le 4 janvier, de l’institution de la grande région baptisée « Grand Est », et nous l’entendrons encore souvent, à chaque occasion : « On ne reviendra pas en arrière ». C’est dit comme une évidence, énoncé comme une maxime de sagesse, présenté comme la loi d’un irréversible progrès en marche. Ne nous laissons pas impressionner. Ce propos idéologique, dont l’auteur confond son désir de puissance avec la réalité des choses, il importe de le démonter philosophiquement et par là même de préparer les esprits et les volontés à un souhaitable, possible et nécessaire « démontage » du conglomérat Grand Est. En jeu, la démocratie et une vision de l’histoire.

Cela m’avait frappé dès les débuts, dès que la loi de la nouvelle réforme territoriale fut votée, le 25 novembre 2014, dès la messe parlementaire dite, l’agilité avec laquelle tout à coup la plupart de « nos » acteurs politiques et économiques se sont rapidement adaptés, alignés et mis sur le rang pour appliquer les directives, jouer le jeu, s’organiser pour emporter les élections et conquérir du pouvoir dans le nouvel espace politique qui s’ouvrait (s’offrait) à eux.

L’insidieuse pensée unique

Des membres des partis de l’oppositions pourtant, LR-UDI-Modem, adversaires résolus, en principe, des socialistes qui, seuls, avaient subitement conçu et réussi à imposer, à peu de voix près, une calamiteuse réforme territoriale que personne ne demandait. Les chefs de l’opposition avaient eux-mêmes, souvenez-vous, dénoncé et combattu le projet, encadrant ou récupérant des manifestations anti-fusion et lançant des pétitions, mais une fois la loi votée, pfft ! plus de protestations. Soumission, résignation ? Légalisme, disent-ils. Républicanisme.

Étrange revirement tout de même, dans sa promptitude. Car on a connu, sur d’autres sujets, des opposants plus coriaces, irréductibles, jurant de continuer le combat jusqu’à leur victoire, qui est victoire du droit, et promettant de revenir alors, justement, sur une loi et une politique que leur conscience, leurs principes, leur sensibilité condamnent. On n’a pas entendu « nos » ténors de l’opposition dire de telles choses qui leur auraient valu de l’estime.

On ne pouvait attendre de leur part une franche insoumission, mais au moins un retrait, une prise de distance et la décence de ne pas contribuer activement à la mise en place de dispositifs institutionnels dont ils venaient de dénoncer l’ineptie. On a observé le contraire. Opportunisme, trahison ? Ou sens de l’État ? Pourquoi, alors qu’ils appartenaient toujours à

l’opposition sur le plan national, ce zèle soudain, cet empressement à appliquer une politique qu’ils avaient combattue, en paroles, pendant des mois ? Comment l’expliquer ?

Il y a une explication première, primitive, qui vient tout de suite à l’esprit et s’exprime en privé. « Ils » vont à la soupe. « Ils » ne pensent qu’à leur pouvoir, leur place, leur rang, et à ce qu’ils peuvent gagner. Cette explication psychologique commune n’est pas entièrement impertinente et ne saurait être écartée d’un revers de plume ! Les hommes politiques et autres sont ambitieux, accros à leur carrière, et ne résistent guère aux tentations du mal, c’est assez naturel.

Mais j’avancerais, pour le cas qui nous occupe, une raison plus profonde. Il manque à cette génération des quinquagénaires et jeunes sexagénaires qui tient actuellement les leviers du pouvoir (politique comme économique) une solide conscience historique et humaniste. Elle a été, cette génération, et les suivantes le sont encore plus, déculturée, particulièrement en Alsace. Elle a appris et assimilé : « Nos ancêtres les Gaulois ». Son intelligence et sa sensibilité n’ont pas été formées sur la base d’un véritable enseignement, méthodique, soutenu, de l’histoire régionale et de la littérature régionale dans ses trois modes d’expression et son ouverture européenne. Nous payons les effets d’une déculturation qui a été programmée, sans peut-être que ses responsables aient su clairement ce qu’ils faisaient, car « une culture régionale » n’était pour eux qu’une culture subalterne, de l’ordre du folklore, sans résonance affective et citoyenne. Dénués de conscience régionale, ignorant l’histoire des sentiments, esprits froids et purement calculateurs, ils n’avaient rien à objecter de fondamental à un programme étatique d’expansion, qui pour eux signifiait rationalisation et modernisation ; ils n’avaient aucune conviction intérieure, aucune force morale, pour se soustraire à l’attrait du grand, du plus grand, donc du plus puissant.

En filigrane une certaine idée de la France, une « grande nation » qui ne saurait se satisfaire d’avoir de petites régions ! Nos voisins ont de plus grandes ! En fait, non, c’est très inégal.

Le discret pouvoir des bureaux

Toutes les têtes politiques locales n’ont pas été formatées ainsi, par l’ENA ou d’autres grandes Écoles de management et communication, mais les directeurs de cabinet, secrétaires, rédacteurs, experts, conseillers, qui les entourent et les circonscrivent, le sont. Et ils pèsent dans les manières et les mesures politiques bien plus qu’on n’imagine. C’est cette classe administrative, moulée par les écoles, fermée comme une caste, énorme impalpable bureaucratie, qui détermine et bétonne les politiques. On reproche au président de tout décider avec son directeur général des services et son directeur de cabinet. « Ce n’est pas entièrement faux », ironise-t-il.

Pour tout ce monde supérieur, dont le métier est de manager, que ce soit une entreprise ou un service administratif ou une collectivité, un accroissement de taille apparaît toujours désirable et positif. Un plus est toujours, a priori, un progrès. Ou le progrès, c’est toujours du plus. Pas facile de briser cette équation, car nous sommes ainsi faits et conditionnés que tout progrès, sous l’aspect d’un agrandissement ou d’une expansion, nous semble irréversible. « On ne reviendra pas en arrière » signifie « on n’arrête pas le progrès », n’est-ce pas. Ce serait le destin, le sens même de l’histoire humaine, d’avancer vers des unités de plus en plus grandes jusqu’à n’en constituer plus qu’une, la société mondiale, le « village-monde » ! Ceux qui voudraient demeurer dans les limites d’un petit pays et y exercer leurs droits de citoyen font figure de réactionnaires ou de conservateurs. Attention, le mot « repli identitaire » va tomber et les faucher.

L’illusion, la tromperie, c’est de faire prendre n’importe quel progrès quantitatif, en taille ou en surface, pour un progrès tout court ou un progrès en qualité. Or, le Grand Est, si bien nommé, ne permet de par sa configuration ni de réels progrès économiques ni des progrès démocratiques. Au contraire, il les empêche, comme nous le savions d’avance et comme la pratique le vérifie. Plus un organisme collectif est grand, plus il a besoin de bureaucratie pour son fonctionnement et la communication (qui autrefois s’appelait « propagande »). C’est forcément un effet de la distance accrue entre « le pouvoir » (les bureaux, les agences) et les citoyens, entre les élus et les électeurs. Inévitablement, comme le dit un homme de terrain, le conseiller départemental du Haut-Rhin Michel Habig, « on perd beaucoup en proximité, et la proximité est essentielle dans l’exercice des responsabilités publiques » (Ami-Hebdo, 30 octobre 2016). Et encore, « avec cette grande région les gens ne comprennent plus », ne connaissent plus ceux qui sont censés les représenter. Perte en représentativité, en lisibilité, en intelligibilité ! « Langueurs administratives » et processus de décisions politiques opaques. La crise démocratique que nous vivons à tous les niveaux, dans la Ve République, est principalement une crise de représentativité, que toutes les dernières réformes et découpes électorales ne font qu’aggraver.

Pour remédier à l’éloignement des services, le président mise sur les agences territoriales. « Il en existe déjà presque partout. » Il annonce néanmoins la création de nouvelles, une douzaine. Fuite en avant. Cela revient encore, dans une même logique administrative, à multiplier les guichets et renforcer la bureaucratie. Ouvrir une agence, c’est créer une

structure bureaucratique de plus, ce n’est pas donner la parole aux citoyens et améliorer les relations démocratiques.

La partie n’est pas finie

Dans une telle situation de déficit politique général, c’est une forme de mépris, c’est un déni de démocratie, que de déclarer, sans y être autorisé, qu’« il n’y aura pas de retour en arrière institutionnel ». De faire comme si une telle déclaration avait valeur de décision. Le président prétend « nous » mettre en garde.

Vrai. Le « retour à l’Alsace » ne sera pas un repli et un retour à l’état institutionnel antérieur, à un Conseil régional faible et pusillanime, tel que nous l’avons connu, aux compétences réduites et en absurde compétition avec les conseils départementaux. Les citoyens d’Alsace qui résistent veulent autre chose et ils inventeront. En sortant du « Grand Est », ils ne reviendront pas en arrière, au passé, non, ils bondiront en avant.

(à suivre)

Jean-Paul Sorg