Refondation de la région Alsace : osons l’innovation démocratique

par Jo Spiegel, maire de Kingersheim, connu pour ses initiatives en faveur de la démocratie participative.


Une réforme qui touche à l’organisation des pouvoirs locaux et donc à la vie quotidienne des gens, ne peut être de nature technocratique. Elle doit être d’essence démocratique. C’est-à-dire réelle et effective. Celle qui s’exerce autant dans l’intervalle des élections que pour les élections.

  • Celle qui préfère associer les citoyens et les ressources démocratiques au processus de décision, plutôt que de se complaire dans l’entre soi des élus, de la posture, des clivages et des intérêts souvent partisans.
  • Celle qui vise à fertiliser des points de vue différents, plutôt que de nous retrancher dans des affrontements stériles.
  • Celle qui veut, enfin, s’inscrire dans une éthique de la discussion et du dialogue, pour susciter l’élévation scrupuleuse du débat public.

Rien de tout cela dans la réforme des régions. C’est une réforme de la déliaison, une réforme institutionnelle sans les citoyens, sans les experts, sans les organisations et sans les élus concernés.

Dans quel espace voulons-nous nous reconnaitre, penser, agir, vivre ensemble en ouverture avec les autres ? Pour quelles visions, quels projets, quel avenir ? Telle est la question qui mérite débat, qui mérite transparence et qui mérite co-construction.

Hannah Arrendt disait de la démocratique, qu’elle est la capacité à organiser l’espace qui existe entre les gens. La haute qualité de l’organisation des pouvoirs locaux et la haute qualité démocratique sont intrinsèquement liées.

La mise en agenda de cette réforme devrait donc commencer par intégrer les préoccupations des citoyens. Il me semble qu’elles sont de 4 ordres :

  • 1ère préoccupation : quelle est l’organisation la plus efficace, la plus cohérente, la plus lisible, bref la plus respectueuse de l’usage du denier public ? la réponse n’est certes pas dans l’empilement des structures, ni dans l’enchevêtrement des compétences. Cette question est importante, elle interroge le rapport à l’efficacité des politiques publiques !
  • 2ème préoccupation : quelle est l’organisation des territoires qui parle à mon cœur, à mon vécu, qui résonne à mon sentiment d’appartenance ? ce n’est certainement pas le Grand Est ? cette question centrale interroge le rapport à l’identité. Elle concerne autant le sentiment d’appartenance régionale que celui des bassins de vie.
  • 3ème préoccupation : quelle est l’organisation la plus souhaitable ? celle qui propose plus d’étendue, qui professe le « big is beautiful », ou celle qui propose plus de compétences ? A l’évidence ce qui est revendiqué ce n’est pas l’éloignement, c’est la capacité des représentants d’agir au mieux, au service de tous, du bien commun et des habitants. Cette question interroge le rapport au pouvoir d’agir.
  • 4ème préoccupation : la préoccupation qui englobe toutes les autres est la question démocratique. Comment exister en tant que citoyen et en tant qu’élu de base, dans l’intervalle des élections ?

Il faut bien reconnaitre que les politiques sont passés maître dans l’art de conquérir le pouvoir et restent des analphabètes quand il s’agit de le partager. L’éloignement des centres de décisions participe à cette paresse démocratique et va renforcer le fossé entre les représentants et les représentés !

Je pense, pour ma part, que dans une perspective véritablement démocratique, cette réforme ne peut pas être portée dans l’entre soi des élus. Nous ne sommes pas propriétaires des institutions que nous sommes censés servir. Pas davantage l’Etat au demeurant.

J’avais proposé, à Sélestat, la mobilisation de toutes les ressources de sens, d’intelligence et d’expertise au travers d’une séquence démocratique qui pouvait prendre la forme d’une conférence du consensus. Avec la volonté de réunir citoyens, élus, organisations, experts pour aller au fond du sujet, fertiliser les points de vue différents, pour proposer le meilleur pour les Alsaciens et avec les Alsaciens.

Il me semble que compte tenu des enjeux, la chance que constitue le débat sur cette question, il faut oser l’innovation démocratique au travers d’un processus citoyen instituant plus audacieux, dans le cadre d’Etats Généraux de la refondation de la région Alsace. Dans ces Etats Généraux il faudra voir s’épanouir, partout, les débats, la transparence, l’expertise, la contribution et la co-construction.

Une Assemblée Instituante pourrait être la pierre angulaire de cette approche de « Démocratie Construction » réelle, effective et permettant de co-construire les bases d’une organisation des pouvoirs locaux, pensée réfléchie à partir avec et pour les citoyens. Cette démarche est possible. Elle est souhaitable. Elle revendique une véritable ingénierie de débat public.

Deux conditions sont nécessaires à une telle démarche innovante :

  • d’abord la volonté des Grands Elus de s’inscrire dans un tel processus, d’accepter un rapport humble au pouvoir pour mieux décider ensemble et de rappeler cette réflexion d’Hannah Arendt : « le pouvoir nait quand les hommes travaillent ensemble et disparait lorsqu’ils se dispersent ».
  • il faut, enfin, le soutien des collectivités, singulièrement des Conseils Départementaux, voire de l’Etat pour le financement, la logistique et l’ingénierie démocratique à déployer.

Une telle démarche de démocratie réelle, effective, exigeante a un coût. Celui qui permet de mieux décider ensemble.

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