Mois: octobre 2015

La démocratie sportive menacée

par Jacques SCHLEEF, membre du Conseil d’Ethique de la Ligue d’Alsace de Football, ancien entraîneur de football diplômé d’Etat, Secrétaire Général du Club Perspectives Alsaciennes. Article publié dans les DNA du 31 octobre 2015.

Avec la création de l’ACAL, ce n’est pas seulement le Conseil régional d’Alsace qui va disparaître, mais aussi de nombreuses autres institutions emblématiques de notre identité et qui permettaient aux Alsaciens de mener les politiques les plus adaptées à leurs besoins. Mais, au-delà des Chambres consulaires (Agriculture, Métiers, etc.) c’est maintenant un autre symbole de notre spécificité qui est menacé par un véritable « hold up » : ainsi que l’a annoncé Albert Gemmrich à Ribeauvillé samedi dernier, la LAFA (Ligue d’Alsace de football) doit être intégrée de force dans une future ligue du Grand Est. Oui, c’est un peu la liquidation générale de l’Alsace que nous aimons qui se prépare : « tout doit disparaître ! » semble être le slogan de tous ceux qui se sont ralliés à l’ACAL.

Beaucoup de questions restent en suspens, mais Albert Gemmrich semble prêt à suivre la ligne de Philippe Richert… Si ce « mauvais coup » réussit, c’est la vivisection de la Ligue au cours des prochains mois, avec la création de deux districts départementaux (Haut- et Bas-Rhin) et la remise en cause de l’organisation de nos compétitions de football qui, notamment dans nos villages et nos petites villes, sont indissociables de notre culture et de la vie associative locale.

Imagine-t-on demain de remplacer l’Appellation d’Origine Protégée Alsace par une AOP ACAL qui regrouperait le riesling avec le champagne et le gris de Toul ? Plus sérieusement, nos efforts en faveur de la coopération transfrontalière, qui sont notre contribution au projet européen, risquent fort, par exemple, d’être « sabotés » au profit de matches dans les Ardennes et la Haute-Marne…Les amateurs de ballon rond apprécieront cette logique de centralisation artificielle dans un espace que nous n’avons pas choisi.

Depuis plus de 90 ans, la LAFA est un exemple de structure gérée avec prudence et dynamisme par des bénévoles engagés. On veut la remplacer par un « monstre bureaucratique » sans âme et aux « ordres » de Paris.

Voilà ce que je refuse, et qui explique la pétition qu’avec quelques amis, nous avons mise en ligne afin de donner à Albert Gemmrich et aux dirigeants de la LAFA la légitimité nécessaire pour résister à « l’oukase » du ministère des Sports. On veut voler à l’Alsace son football : les footballeurs alsaciens ne se laisseront pas faire !

Publicité

Charte européenne violée : le Conseil d’Etat n’a pas eu le courage de dire que le roi était nu.

par Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local, de l’association Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle. 28 octobre 2015.

On savait que Conseil d’Etat allait rejeter les recours contre la loi Notre (réforme territoriale). On attendait sa motivation. Il ne nous a pas déçu.

Le Conseil d’Etat « dit » le droit, c’est à dire qu’il fabrique les règles qui lui paraissent appropriées.
Comme la déclaration d’invalidité de la loi sur les fusions lui paraissait inopportune, il a inventé une règle qui le dispense de prononcer cette invalidité. Ce faisant il reconnait néanmoins que la loi sur la fusion des régions viole la Charte européenne de l’autonomie locale.

Reprenons dans l’ordre ces différents points :

Le Conseil d’Etat rappelle les règles qui régissent l’applicabilité directe en droit interne d’une stipulation internationale. Ces règles font que l’article 5 de la Charte sur l’autonomie locale s’impose bien au législateur français. Ces règles imposent une vraie consultation en bonne et due forme des régions fusionnées et même un référendum puisque la loi française le permet. Ces obligations ont bien été méconnues par le législateur français. Le Conseil d’Etat le reconnait.

Certes, il ne le dit pas aussi explicitement car ce n’est pas son style rédactionnel. Mais en écartant pour un motif très particulier la sanction de cette violation de la loi internationale, il reconnait implicitement mais nécessairement l’existence de cette violation. Si celle-ci n’était pas reconnue, Le Conseil d’Etat aurait a coup sur écarté le recours comme invoquant une violation qui n’existe pas, ce qu’il n’a pas fait.

Il a donc rejeté le recours par un argument original, une sorte de joker, pour sauver la loi contraire à la Charte européenne. De façon purement « prétorienne », c’est à dire en fonction de son appréciation discrétionnaire de l’opportunité juridique, il a créé une règle nouvelle. Celle-ci ne concerne pas le fond du litige mais les pouvoirs du juge : le Conseil d’Etat a décidé que les juridictions ne peuvent écarter l’application d’une loi pour non conformité à la règle internationale si cette non conformité porte sur une obligation procédurale. Si c’est la procédure d’adoption de la loi qui est irrégulière, le juge administratif s’interdit de mettre en cause cette loi. Un tel « moyen » de droit est déclaré irrecevable : il ne « peut être utilement invoqué » alors même qu’il est fondé.

Comme dans dans de nombreux autres arrêts, le Conseil d’Etat a donc créé une règle nouvelle pour aboutir au résultat qui lui paraissait opportun. Il n’indique pas quel serait le fondement ou la justification de cette règle nouvelle : la motivation des jugements selon lui ne va pas jusqu’à donner ce genre d’indications. Il peut se fier aux commentaires d’éminents membres des facultés de droit qui vont s’empresser de faire preuve d’imagination pour trouver toutes sortes de justifications juridiques et raisonnables pour expliquer que cette règle nouvelle était déjà implicitement inscrite dans la jurisprudence antérieure et dans la nécessité profonde du système juridique.

On peut cependant rester sceptique :

 En premier lieu, on peut contester que l’irrégularité en cause est une irrégularité dans la « procédure d’adoption de la loi ». En ignorant l’avis des collectivités fusionnées et de la population concernée, le législateur n’a pas méconnu (seulement) une règle relative à la procédure d’élaboration législative, il a commis une irrégularité de fond. Certes, il pouvait décider le contraire de ce que souhaitent les collectivités concernées et leurs habitants, mais il devait au moins connaitre et prendre en considération cette position. Telle est la véritable portée de l’article 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale.

De plus, ce n’était pas à l’évidence au législateur, dans le cadre des règles procédurales parlementaires  d’adoption d’une loi, de consulter les régions et leur population. Ce travail incombait incontestablement au Gouvernement et le législateur devait, sur la base de l’article 5 de la Charte, qui s’impose à lui comme le Conseil d’Etat le reconnait, repousser ce projet de loi tant que la consultation n’avait pas été correctement réalisée. C’est donc de manière très peu convaincante que le Conseil d’Etat prétend que seule une règle de la procédure législative tirée de la Charte européenne a été méconnue et que le juge n’a pas à s’occuper de ce type d’irrégularité.

En deuxième lieu, on comprend mal pourquoi une règle internationale instituant une procédure préalable et applicable dans l’ordre juridique interne pourrait être plus facilement méconnue, sans aucune sanction juridictionnelle, qu’une règle de fond. Les règles de consultation préalable sont tout aussi importantes  que les règles de fond et le Conseil d’Etat ne manque pas de sanctionner leur méconnaissance lorsqu’elle sont définies par une règle de droit interne. Pourquoi en serait-il autrement quand de telles règles de procédure sont fixées par la règle de droit international reconnue comme directement applicable en droit interne ?  Enfin, il n’y a pour le juge administratif pas plus de difficulté juridique ou politique de relever l’invalidité d’une loi pour motif de méconnaissance d’une règle procédurale que pour méconnaissance d’une règle de fond.

La règle nouvelle inventée pour la circonstance par le Conseil d’Etat est de surcroit un véritable retour en arrière dans la jurisprudence de plus en plus ouverte de de contrôle du respect du droit international. Que cette régression intervienne au sujet d’une convention du Conseil de l’Europe et à l’occasion d’un acte international de protection de l’autonomie locale parait symptomatique.

On nous dira : le Conseil d’Etat pouvait-il faire autrement ? Le blocage juridictionnel de la procédure de fusion des régions était-elle imaginable ? En posant cette question, on interroge évidemment le caractère d’Etat de droit véritable de notre pays : le respect de la loi ne serait-il que pour les broutilles, pas pour les questions fondamentales ?

De plus, si le Conseil d’Etat avait effectivement suspendu les élections régionales dans l’attente d’une consultation conforme à la Charte européenne, y aurait-il eu affolement ou soulagement dans le pays ? A écouter les rudes critiques adressées par une majorité d’hommes politiques et de spécialistes de l’administration à l’encontre de cette réforme administrative, cette « deuxième chance » de faire une bonne réforme aurait  été finalement probablement perçue comme une opportunité plutôt que comme une catastrophe. Mais pas plus que les élus, le Conseil d’Etat n’a eu le courage de dire que le roi était nu.

Débat sur la ratification de la Charte : un concours d’hypocrisie entre majorité et opposition

par Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local, de l’association Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle. 27 octobre 2015.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires vise à la protection d’un bien culturel européen, à savoir les langues régionales et minoritaires. Elle ne pose pas la problématique du soutien à ces langues en termes de groupes minoritaires. Son projet intéresse tous les citoyens européens : ce  n’est pas seulement le problème des locuteurs de ces langues. Elle s’adresse aux instances publiques pour qu’elles prennent des engagements concrets et effectifs en faveur de la protection des langues régionales minoritaires. Elle veut obtenir une politique résolue de soutien et de promotion, tout en affirmant la complémentarité langue nationale – langues régionales. La Charte opte clairement pour un contexte de plurilinguisme et de pluralisme culturel, étant fondée sur une idée de tolérance et de respect de la différence et des identités.

le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est incompatible avec les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi, d’unicité du peuple français.

Cette position du Conseil constitutionnel ne peut que surprendre car 25 Etats européens pour qui le principe d’égalité a également une valeur constitutionnelle, qui affirment pareillement l’unité de leur peuple et qui ont eux aussi une langue officielle n’ont pas considéré que la Charte mettait en cause ces principes. En réalité, la Charte ne porte pas atteinte à l’égalité des citoyens, à l’unité de l’Etat ou aux prérogatives de la langue nationale.

Le Conseil constitutionnel a développé une conception de la Charte non fidèle à son contenu et procédé à une interprétation extrêmement négative de la Constitution au regard de la diversité linguistique.

Ou bien, on donne raison au Conseil constitutionnel dans son interprétation de la Constitution hostile aux langues régionales et alors il ne faut pas ratifier la Charte et rester à l’écart du mouvement européen de soutien aux langues régionales. Ou bien, comme les autres pays européens, on reconnait la justesse des préconisations de la Charte pour sauvegarder notre patrimoine linguistique et il faut alors dédire le Conseil constitutionnel et récuser sa jurisprudence en inscrivant dans la Constitution la détermination de la France de ratifier la Charte.

Le projet de loi constitutionnelle veut à la fois ratifier la Charte tout en confirmant la position du Conseil constitutionnel. Il autorise cette ratification tout en inscrivant dans la Constitution des réserves qui empêcheront sa mise en œuvre.

Le rapporteur du projet au Sénat, tout en dénonçant cette incohérence, se garde cependant d’écarter de ce projet les réserves contraires à son objet et se rallie à la thèse du Conseil constitutionnel selon laquelle la création de droits pour les locuteurs de langues régionales serait contraire aux principes constitutionnels.

Finalement, majorité et opposition font assaut d’hypocrisie électoraliste, pour les uns en proposant la ratification d’un texte tout en organisant sa non application, et pour les autres en revendiquant un attachement aux langues régionales tout en se ralliant aux obstacles édifiés par le Conseil constitutionnel  pour faire obstacle à ces langues.

Richard WEISS : Réponse au « cocorico » de Justin VOGEL

Richard Weiss est cofondateur des écoles ABCM-Zweisprachigkeit (Association pour le Bilinguisme en Classe dès la Maternelle). Il nous livre ici ses réactions à l’intervention récente de Justin Vogel, président de l’OLCA et vice-président du Conseil Régional d’Alsace. Article publié originalement sur l’Alterpresse68 le 15 septembre 2015.


M. Vogel, président de l’OLCA, a prétendu lors d’un colloque  en Corse qu’il allait demander la  « coofficialité» de la langue allemande à son retour en Alsace et affirmait que la maîtrise de la langue régionale  ne régressait pas en Alsace: « Nous avons 600.000 locuteurs et nous n’en perdons plus » (sic !) !

Ah, les élus alsaciens : toujours les mêmes. Dès qu’ils sont à l’extérieur, loin du préfet et de leur… président de Région, ils disent ce qu’il faudrait faire mais ne le font pas une fois rentrés en Alsace !

Et ça fait au moins  50 ans que ça dure, que ce soit la droite ou la gauche… et c’est pourquoi nos enfants sont monolingues.

Evidemment qu’il faut la coofficialité des langues française et allemande, l’allemand incluant de fait le dialecte alsacien, qui, rappelons-le,  est de l’allemand, tout comme le « schwizzerdütsch » et le « letzeburgisch » sont de l’allemand: nos  voisins suisses et luxembourgeois, eux, sont fiers (et sans complexes) de la parler… puisque chez eux la question linguistique n’est pas politique !

Un recul avéré

Mais affirmer que nous ne perdons plus de locuteurs de la germanophonie en Alsace est un pur mensonge car tout le monde l’entend… ou plutôt ne l’entend plus autour de lui :

  • 30.000 dialectophones meurent chaque année et ne sont pas compensés par les élèves qui sortent des filières bilingues paritaires de l’Education nationale.
  • 300.000 sont morts « Pour – ou plutôt PAR – la France » en 30 ans !

Tout le monde sait que la mise en place de l’OLCA° est un mauvais coup politique, une de ces magouilles qui discréditent la politique  typiquement alsacienne (et qui font que la majorité actuelle ne mérite pas d’être réélue en décembre, et cela indépendamment de la méga-région°°) , un marché de dupes entre Grossmann et le regretté Adrien Zeller : on réduit notre langue historique au dialecte et on prend des mesurettes tout juste capables d’accompagner le déclin: quelques opérations publicitaires, quelques soirées en alsacien, etc.  Ce qui fait quand même 500.000 € par an pour frais de fonctionnement de cet organisme qui devrait faire un  travail que les militants font gratuitement et bénévolement  depuis au moins la création du “Cercle-René-Schickele” en… 1968 !

Mais rien de fondamental:

  • aucune pression sur l’Etat afin qu’il assure sa mission de développement de l’enseignement bilingue dans les  collèges et lycées publics, où n’existe nulle part la parité… (ce qui est malheureusement normal puisqu’il n’y a pas de collèges et lycées ABCM… capables de leur faire concurrence !)
  • aucune planification d’ouverture de maternelles en immersion avec démarrage en dialecte et poursuite en Hochdeutsch à l’écrit.

Que des vœux pieux…

Les fumeuses « Assises sur la Langue » ont débouché sur un vœu pieux: « 25% d’enfants bilingues au primaire en 2030 » (alors que Frau Karrenbauer, Présidente du Saarland voisin, autonome, vise: « Le français pour tous les enfants et acteurs de la vie publique ! »)

Et ce n’est pas un éventuel Conseil culturel alsacien (dont les membres seraient nommés par l’actuel président de Région-en-sursis), qui changerait quelque chose… Ce seraient, au mieux, trois ans de perdus… sauf événement politique, auquel Unser Land compte bien participer !

De plus M. Vogel est vice-président de la région et, à part le fait de chanter la « Marseillaise »  le 11 octobre 2014, place de Bordeaux à Strasbourg, il ne s’est pas manifesté pour défendre notre Région qui va disparaître au Nouvel an suite à la réforme territoriale. Réforme dont le professeur de Droit  Robert Hertzog ainsi que Daniel Hoeffel, ancien président du Conseil général du Bas-Rhin répètent qu’elle est « illégitime et absurde »…

Il a simplement promis que dorénavant les élus contrôleraient ce que l’Education nationale  fait de nos 5 millions annuels de subventions publiques  régionales !

Ce qui prouve bien que jusqu’à présent…

De plus, c’est lui qui avait accepté en juin 2014, sur ordre de l’actuel président de la région Alsace,  de négocier avec le président socialiste  et  nationaliste de Lorraine connu pour son opposition à la ratification par la France de la Charte européenne des Langues minoritaires et régionales…


°OLCA: Office pour la Langue et la Culture en Alsace”, qui n’ose même pas définir ce qu’est notre langue !

°°C’est parce que les jacobins de Paris savaient qu’ils ne risquaient rien que nos élus cèdent toujours … Qu’ils se sont permis de projeter de nous faire disparaître de la carte, ce qu’ils n’ont pas osé faire de la  Bretagne et de la Corse…


Pour mémoire: voici les chiffres donnés par M. Claude FROEHLICHER°°° président de ELTERN  à l’université  de l’ICA samedi 29 août à Colmar :

là où une filière bilingue paritaire est ouverte (350 écoles sur  1.600 = 25%), plus de 50% des enfants sont inscrits par leurs parents = 20.000 enfants (sur 40.000 possibles) en classes bilingues (sur 160.000) ! Résultat des courses: seulement 12% d’heureux , 22 ans après l’ouverture des 5 premières écoles d’immersion “ABCM-ZWEISPRACHIGKEIT”… A vos tablettes: à ce rythme, combien faudra-t-il d’années avant que l’Alsace soit bilingue…!

Quel avenir pour le droit local ?

par Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local, de l’association Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle. 10 octobre 2015.

Jusqu’à une période récente, le droit local semblait solidement installé dans le paysage juridique alsacien-mosellan. Les sondages d’opinion montraient un attachement extrêmement fort de la part des populations concernées à l’égard de ce particularisme juridique. Dans les 20 dernières années le droit local s’est modernisé comme l’illustre l’exemple de l’informatisation du livre foncier. Nos élus locaux affirment régulièrement leur engagement pour garantir la sauvegarde de ce droit local, de plus en plus perçu comme une expression de l’identité régionale et comme un témoignage de son histoire.

L’espoir était même né que le droit local pourrait servir, sinon de modèle du moins d’impulsion pour une évolution de notre système d’organisation juridique vers une plus grande « territorialisation du droit », c’est-à-dire vers une certaine diversification des modalités d’organisation et des règles légales selon les différents territoires. Une telle évolution est déjà réalisée pour les régions d’outre mer. La réforme constitutionnelle de 2003 semblait esquisser une évolution en ce sens. Pourquoi ces développements ne pourraient-ils pas à terme transformer le droit local en droit régional avec des compétences spécifiques reconnues à des autorités alsaciennes et mosellanes ?

Mais en quelques années, le vent a tourné et les craintes pour l’avenir du droit local se sont multipliées. Les perspectives de pérennisation du droit local paraissent compromises alors que des règles de droit local, considérées jusqu’ici comme exemplaires, sont de plus en plus fortement mises en cause.

  1. La fragilisation du statut constitutionnel du droit local

Depuis longtemps on s’interrogeait sur le statut constitutionnel du droit local, compte tenu des principes d’unité et d’indivisibilité de la République, ainsi que de l’égalité devant la loi. Les observateurs étaient relativement optimistes : rien dans la Constitution n’interdit d’avoir une réglementation distincte pour un territoire déterminé s’il y a un motif d’intérêt général à cela ; le contexte historique culturel et géographique peut fonder un tel intérêt.

Mais la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2011 (n° 20011-157 QPC SOMODIA) a enfermé le droit local dans des limites très strictes. En apparence, la décision du Conseil constitutionnel parait favorable au droit local puisqu’elle considère que le maintien du droit local après 1918 correspond à un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » et qu’ainsi le principe constitutionnel d’égalité n’est pas opposable à ce droit particulier. Mais cette reconnaissance apparente est en fait une condamnation : le Conseil constitutionnel insiste sur le caractère « provisoire » du droit local et sur la nécessité de rétablir à terme l’unité législative. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel barre sérieusement la route à toute évolution du droit local puisque celui-ci ne peut être modifié que dans le sens d’un rapprochement avec le droit général. Sur la base de cette jurisprudence, toute évolution du droit local selon une logique propre peut être considérée comme un éloignement du droit général et donc comme incompatible avec les principes constitutionnels.

Cette jurisprudence est maintenant utilisée dans les débats juridiques pour s’opposer à des aménagements nécessaires du droit local au motif qu’ils seraient contraires à la jurisprudence constitutionnelle.

  1. le « grignotage » du droit local face à l’évolution législative

Le droit doit évoluer, c’est normal ; mais quand on est dans une situation où le droit général est marqué par une très grande mobilité et le droit local condamné à l’immobilisme, l’effacement de ce dernier devient inéluctable.

Plusieurs dispositions importantes du droit local sont ainsi aujourd’hui remises en cause. Il faut en particulier évoquer les menaces qui pèsent sur le régime local d’assurance maladie. Depuis l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi qui légalise cet accord, un système d’assurance maladie complémentaire est mis en place. Ce nouveau système est pris en charge pour 50% voire davantage par les employeurs alors que le régime local est entièrement supporté par les salariés. De plus, les garanties offertes par le nouveau système sont plus nombreuses. A défaut d’être harmonisé avec ce nouveau système, le régime local d’assurance maladie apparaitra comme désavantageux et risque d’être remis en cause.

La question de l’ouverture des magasins le dimanche et les jours fériés devrait, elle aussi, être revue. Elle relève aujourd’hui de règlements départementaux inadaptés. Encore récemment, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le règlement départemental pour la Moselle et un tribunal civil strasbourgeois a donné du règlement local du Bas Rhin une interprétation qui permet l’ouverture des supermarchés et hypermarchés d’alimentation le dimanche au motif qu’ils sont assimilables à des épiceries. Lorsque, comme cela a été finalement le cas pour la Moselle, un nouveau règlement est adopté, l’érosion du principe du repos dominical est sensible.

On pourrait encore évoquer bien d’autres domaines où le droit local vieillit et perd son intérêt à défaut de modernisation. En 2014, une tentative de toilettage de certains aspects du droit local a été entreprise sous la forme d’une proposition de loi (proposition n°826 tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin). Ce projet a fait long feu.

  1. Les conséquences de la réforme territoriale

Il est exact que les régions Alsace et Lorraine, pas plus qu’aucune autre collectivité territoriale, n’ont de compétence juridique en matière de droit « local », lequel rappelons-le, est, au même titre que le droit « général », un droit national d’application territoriale, c’est-à-dire dont le pouvoir de maintien, de modification et d’abrogation appartient au Législateur et au Gouvernement. De ce point de vue, la fusion des régions n’a aucune incidence directe sur le droit local puisque les régions n’ont aucune compétence juridique en matière de droit local.

Toutefois, la réforme territoriale aura diverses conséquences indirectes sur le droit local.

Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui doit définir les compétences des régions et départements va procéder à la suppression de la clause de compétence générale pour ces deux collectivités. En pratique, cela signifie que celles-ci n’auront plus la possibilité d’intervenir, notamment financièrement, dans les domaines pour lesquels une compétence d’intervention ne leur aura pas été expressément reconnue par la loi.

Il en résultera que les collectivités régionale et départementales qui, comme on l’a vu, n’ont pas de compétence expresse en matière de droit local, ne pourront plus apporter un soutien financier à la connaissance, l’étude et la promotion du droit local. Dans les débats sur le projet de loi, le Gouvernement a prétendu que le droit local relève du « développement culturel et scientifique » que ces collectivités pourront encore soutenir après la réforme. Il est cependant incertain qu’en cas de contestation les tribunaux suivront cette analyse. De plus, même si la future région « grand est » devait disposer de la faculté légale de financer l’étude et l’évolution du droit local, il n’est pas certain qu’il s’y trouvera une majorité pour décider un tel soutien et voter les crédits correspondants.

Il est probable en outre qu’à terme les structures des services de l’Etat. Depuis plusieurs années déjà, un certain nombre de compétences judiciaires sont regroupées dans le cadre d’un pôle judiciaire à Nancy. Cette évolution n’a jusqu’à présent pas eu de répercussions directe sur le droit local. Avec le projet de concentrer à Nancy les litiges commerciaux d’une certaine importance le droit local des juridictions commerciales risque d’être remis en cause car cette délocalisation va conduire à soumettre un certain nombre de litiges commerciaux alsaciens et mosellans au système des tribunaux de commerce de droit général, pourtant bien décrié.

  1. Remise en cause de la légitimité du droit local

Mais le débat autour de la réforme territoriale a encore eu un autre effet négatif, plus indirect, sur le droit local. Un des arguments développés en faveur du maintien de la région Alsace était tiré de l’existence d’un particularisme historique, géographique, culturel, linguistique et aussi juridique de cette région (qu’elle partage avec le département de la Moselle). Le refus de prendre en compte cet argument dans la définition des nouveaux périmètres des régions, soit pour conserver une région Alsace, soit pour regrouper celle-ci avec la Lorraine dont relève la Moselle, peut être analysé comme un refus du Parlement d’attribuer une importance significative à l’existence de ce particularisme et donc aussi à sa composante que constitue le droit local. Il est à craindre que le nouveau périmètre de la région aboutisse à une marginalisation du droit local au regard des préoccupations qui domineront dans cette région.

L’effet de cette délégitimation est déjà sensible dans le domaine du droit local des cultes. Ce n’est pas un hasard que depuis la mise en route du processus de réforme les remises en cause du régime cultuel se sont multipliées. Les organisations laïques ont publiquement annoncé qu’elles se donnaient 10 ans pour le démanteler. A l’occasion des attentats du 11 janvier, on on a exhumée une disposition jamais appliquée (et au demeurant pas si obsolète que cela), le prétendu « délit de blasphème » pour accréditer l’idée que le droit local des cultes est une législation archaïque et contraire aux libertés. L’observatoire de la laïcité a rendu en mai 2015 un avis destiné à provoquer la disparition de l’enseignement religieux d’Alsace et de Moselle en préconisant sa marginalisation sous forme de matière à option, alors que cet enseignement est déjà facultatif.

Conclusion : l’avenir du droit local compromis

Le droit local a été maintenu en 1918 comme une solution provisoire. Il s’agissait de donner aux populations concernées un temps d’adaptation au droit français, et au droit français de l’époque un délai pour qu’il puisse se moderniser afin de présenter des qualités techniques équivalentes aux dispositions locales. Toutefois, dès cette époque, le droit local apparaissait aussi comme une occasion d’expérimenter des formes régionalisées de gouvernement et d’engager une diversification territoriale du droit. Bien qu’elle n’ait pas été véritablement concrétisée, cette idée a perduré : le droit local peut être une source d’inspiration pour l’ensemble de la France pour inventer une autre régionalisation. Dans cette perspective, nombre de dispositions de droit local ont développé une vie autonome et se sont modernisées.

Avec les événements récents, cette perspective d’un droit local pérennisé et investi d’une capacité d’évolution dans le cadre d’une entité régionale correspondant à ses caractéristiques sociales et culturelles semble compromise. Sans perspective d’identification avec une autorité territoriale, sans possibilité d’évolution, il n’y a pas d’avenir pour le droit local. Certes, rien n’est encore perdu. Le droit local n’est pas prêt de disparaître dans un bref délai. Mais nous sommes au pied du mur.