Bilinguisme

L’Alsace et le Tyrol du Sud sur la table de dissection

Anna Wolf, originaire du Tyrol du Sud (aussi appelé province autonome de Bolzane-Haut Adige), jeune diplômée en droit à Innsbruck et à Strasbourg, est l’auteure d’une analyse comparée des politiques linguistiques française et italienne intitulée « Pluralité linguistique et principe d’égalité ».

Présentée en langue française à l’Université d’Innsbruck en Autriche, la thèse a valu à Anna Wolf la mention « excellent» (sehr gut).

L’allemand langue administrative à l’égal de l’italien

Ce travail universitaire est mené avec une rigueur méthodique exemplaire et prend en compte les contextes historiques de la France et de l’Italie qui ont conduit ces deux pays à appréhender et « traiter » les situations linguistiques minoritaires que les événements historiques ont installé dans ces deux pays. L’ »Alsace-Lorraine » (les départements du Rhin et de la Moselle) devenue française et le Tyrol du Sud devenu italien en 1918, essentiellement germanophones, intégrés l’une et l’autre dans un ensemble linguistique différent, se présentaient comme les exemples privilégiés à étudier.

Une partie importante du travail étudie les principes de droit constitutionnel auxquels les deux Etats ont eu recours pour se positionner quant à la pluralité linguistique de leurs territoires.

On constate ainsi que l’Italie comportant en son sein diverses minorités dès son unification a adopté une attitude globalement libérale envers la question linguistique, tant que le régime ne s’était pas raidi sous le régime fasciste. Après la guerre, les minorités linguistiques trouvent une place dans la Constitution, notamment sous l’influence du droit international d’après-guerre – à différence de la France, qui ne dédiera un article de sa Constitution aux langues régionales qu’en 2008 et cela sous le seul angle de la protection patrimoniale.

Si la France se raidit devant le Charte européenne des langues régionales et minoritaires, en se heurtant au principe du français, langue de la République, le Tyrol du Sud obtient pour la langue allemande le statut de langue administrative à l’égal de l’italien – grâce au célèbre accord bilatéral entre l’Italie et l’Autriche de 1946 et après des longues revendications.

Comment faire évoluer la protection des minorités linguistiques

Ainsi, à partir d’une interrogation « sur l’affrontement idéologique entre d’un côté un état linguistiquement « homogène » , à travers le postulat d’un principe d’égalité absolu et universel, et de l’autre côté la diversité linguistique et culturelle qui caractérise la réalité humaine », le travail se termine par une présentation des perspectives futures guidées par la question : « Comment faire évoluer la protection des minorités linguistiques en Italie , en France et en Europe, en s’inspirant d’un concept d’égalité linguistique ».

Cette thèse est particulièrement bienvenue au moment où le Conseil constitutionnel met sur le gril une loi qui cherchait à ouvrir l’horizon pour les langues régionales. Anna Wolf présentera son travail en conférence dès son retour à Strasbourg au mois de septembre.

Ernest Winstein

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Conseil constitutionnel : Assassinat des langues régionales de France.

Par Thierry Kranzer (www.thierry-kranzer.com)

L’arrêt du Conseil constitutionnel du 21 mai 2021 jugeant inconstitutionnelle l’immersion précoce en langues régionales en France est un véritable « 11 septembre 2001 » pour la diversité linguistique. C’est un assassinat doublé d’une trahison à l’égard des populations périphériques de la Nation. Cet arrêt traduit (je reprends les propos d’un expert onusien de mai 2008), une « approche totalitaire » de la diversité linguistique par la France) fruit d’une pensée génocidaire.

L’Etat français conforte son statut d’ETAT VOYOU au regard des normes internationales (européennes et onusiennes) en vigueur s’agissant de la diversité linguistique. Cette position d’un dogmatisme lénifiant traduit la réalité d’un repli identitaire qui se nourrit tantôt d’une forme de nostalgie inconsciente de la pensée coloniale parfois de celle de la monarchie absolue, voire de l’impérialisme napoléonien. Sur le plan des contradictions, qui démontrent toute l’ampleur de la subjectivité crasse et militante des soi-disant sages, (qui nous rappelle l’arrêt de 1982 s’opposant à la parité), il est bon de noter que la France est championne du monde de l’immersion précoce en langue minoritaire, quand il s’agit du français à l’étranger. D’ailleurs, les 380 écoles françaises de l’étranger qui ont toutes reçu l’agrément du ministère de l’Education nationale français, pratiquent cette immersion totale en maternelle. Le même ministre de l’Education nationale qui salue la qualité de l’enseignement en immersion complète en langue minoritaire quand il s’agit du français à l’étranger a organisé une véritable escroquerie en rassemblant les signatures de 60 parlementaires nécessaires à la saisine, ex expliquant à ces derniers que la saisine ne concernait pas la question de l’immersion, mais celle du financement sollicité à certaines communes.

La Vè République restera la République de la « racaille parisienne » et autres talibans du jacobinisme. A ce sujet, il faudra expliquer au reste du monde libre, pourquoi il reste aussi difficile, en 2021, de parler de parité entre les langues à un jacobin que de parité entre les genres à un taliban. Par ailleurs, il faudra expliquer comment justifier la présence du siège de l’UNESCO (temple onusien de la diversité culturelle) dans le dernier pays officiellement monolingue du monde occidental dont le l’environnement juridique s’apparente à un cadre de ségrégation linguistique pour les millions de locuteurs de langues régionales de France (C’est un peu comme si on mettait le siège d’ONU-Femmes en Arabie Saoudite).

Ce que l’on peut attendre aujourd’hui d’un pays comme la France, donneuse de leçon au reste du monde devant l’éternel en matière de bonne gouvernance, ce n’est pas qu’elle fasse des faveurs aux locuteurs de ces autres langues nationales de France (alsacien, breton, catalan, corse, basque, flamand, occitan), mais qu’elle se contente au moins de s’en tenir aux plus petits dénominateurs communs autour desquels se sont entendues les nations du monde. Cela passe, entre autres par un amendement de la constitution nécessaire à la ratification de toutes les conventions internationales (ONU et Europe) liées aux langues minoritaires.

Enfin, un petit fait divers du 10 juin 1992, qui prouve toute la corruption de l’institution qui se réfère à l’article 2 de la constitution (la langue de la République est le français) . Le 10 juin 1992 au Sénat, en marge de l’adoption de cet article 2, le Garde des Sceaux était venu rassurer les sénateurs inquiets, en disant en substance que cet article n’a pas vocation à être utilisé contre les langues régionales, mais doit préserver la langue française contre l’omniprésence de l’anglais. Quelle image pour la société…Comment , gérer ce « faites ce que je dis faites surtout pas ce que je fais ». Comment attendre des citoyens qu’ils soient exemplaires, alors que nos élites se comportent en voyous caïds. Comment s’étonner de la profusion sur les medias sociaux des théories du complot..quant nous sommes témoins de tels complots au plus haut niveau. Les peuples de France demandent justice linguistique aujourd’hui. Il ne s’agit pas de leur faire une faveur mais de respecter leurs droits.

Comment en sortir : modifier la constitution avant la présidentielle du mai 2022. Le macronisme a été le théâtre de cette mise en scène vulgaire. Elle doit assumer et réagir. Sérieusement après ce coup de Trafalgar, il faudrait être fou pour être Alsacien ou Corse et voter pour le gouvernement qui a légitimé cet assassinat du 21 mai. En 2022, certains n’auront aucune vergogne à voter pour le monstre pour punir l’escroc… mort pour mort. A quoi bon ? La leçon, est aussi qu’il n’y a plus rien à attendre des parti nationaux prisonniers de l’establishment du 16è arrondissement. C’est une question de rapport de force, et cette force se mesurera aux voix reportées sur les partis régionalistes.

REFLEXION : Je ne sais pas comment Brigitte Klinkert va assumer demain d’avoir sur sa liste deux parlementaires qui ont cosigné cette saisine tueuse pour nos langues ? Palme de l’incongruité au député Studer qui a quand même réussi à se féliciter des avancées que permet l’avis du conseil constitutionnel. Ce qui nous prouve qu’on peut toujours trouver des points positifs à un assassinat si bien mis en scène, en distribuant, par exemple, le Prix du meilleur costume du croquemort…

Thierry Kranzer, auteur du livre :

https://www.yoran-embanner.com/politique/360-langues-regionales-au-bord-du-gouffre.html

Henri Goetschy : l’Alsace est en deuil !

Avec le décès d’Henri GOETSCHY, une haute figure de la politique régionale disparait, laissant un immense héritage d’engagement et d’action politique.

L’ancien sénateur et président du Conseil Général du Haut-Rhin avait toujours défendu, avec Adrien Zeller, l’idée d’une Alsace unie ancrée dans l’espace rhénan et fière de son identité.
Visionnaire, Henri GOETSCHY, avait toujours milité pour une vraie décentralisation, pour un pouvoir au service des citoyens et pour les valeurs démocratiques et humanistes qui se sont développées dans notre région depuis la Renaissance.

Il n’avait de cesse de dénoncer les lâchetés et les compromissions successives qui ont abouti à l’impasse actuelle, et dont la population paye aujourd’hui le prix.
La fidélité et le courage dont cet Alsacien « aus dem Bilderbuch », avec son franc-parler , avait fait preuve, doivent inspirer ceux qui prétendent bâtir une Alsace Nouvelle, et encore plus les jeunes générations.

Merci Henri !

Le Club Perspectives Alsaciennes

Fêter l’Alsace – ùnseri Heimet, ùnseri Feschtle

Par Jacques Schleef, fondateur du festival Summerlied.

Partout en Alsace, l’avenir de nombreuses fêtes locales paraît menacé. Historique (comme le Pfifferdaj à Ribeauvillé ou la Foire Simon et Jude à Habsheim) ou plus récente (à l’instar de la Streisselhochzeit de Seebach), ces manifestations font partie de notre identité culturelle; bien sûr, on peut y ajouter des événements folkloriques tels le Festival du Houblon à Haguenau ou le Corso fleuri de Sélestat, voire la Fête de la Bière à Schiltigheim…

Certes, les difficultés sont aggravées par la crise de la Covid-19, mais elles ont des racines plus profondes que les mesures d’interdiction de rassemblement public imposées depuis plus d’un an. Une réflexion d’ensemble est nécessaire afin de sauvegarder ce patrimoine essentiel pour la cohésion sociale, et qui constitue aussi une richesse touristique importante pour l’attractivité de l’Alsace.

Pour lutter contre le découragement de nombreux acteurs qui contribuent au succès de ces événements, une stratégie cohérente devrait être imaginée et mise en oeuvre par la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace, en partenariat avec les collectivités d’agglomération et les villes et villages concernés :

  • les associations (qui fonctionnent sur la base du bénévolat) ne sont plus en mesure d’assumer les risques financiers et les responsabilités de sécurité qui résultent de l’organisation de ces fêtes; elles ont besoin d’un appui juridique et budgétaire professionnel, mais qui respecte leur autonomie de décision et l’esprit qui anime les participants.
  • la qualité culturelle et même écologique constitue une autre préoccupation, face aux dérives commerciales fréquemment constatées (Christkindelsmarik). L’offre proposée aux visiteurs doit rester conforme aux valeurs traditionnelles et fondatrices de ces fêtes (ainsi, les Messti sont liés à l’anniversaire de la consécration des églises).
  • une coordination territoriale paraît nécessaire pour la gestion du calendrier, afin d’éviter un télescopage chronologique; au contraire, un véritable itinéraire pourrait être construit du nord au sud de l’Alsace; plutôt que la concurrence, la complémentarité doit guider ces décisions.
  • une fois débarrassée du « A-Coeur » et d’un logo ridicules, la CeA serait légitime pour en fixer les principes et les objectifs, par un soutien conditionné au respect d’un cahier des charges rigoureux et ambitieux ; c’est dans le cadre des « territoires » (Sundgau, Kochersberg, Hanauerland, Outre-Forêt, etc) que cette volonté pourrait à la fois s’ancrer et se déployer.

Après les élections de juin, des Assises de la Culture Populaire pourraient offrir un forum de dialogue pertinent pour définir une telle politique; elles devraient réunir les collectivités locales, les représentants du monde associatif et les entreprises du secteur (forains, marchands ambulants, etc), ainsi que des artistes et des experts pour élargir le débat.

In jedem Dorf soll e Masstibaùm stehn!

Arrêté du 3 avril : encore un mauvais coup porté au bilinguisme en Alsace

L’arrêté du 3 avril 2020, publié au JORF sous ne n° 0083 du 5 avril, pris par Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieure et qui porte sur « la certification en langue anglaise pour les candidats inscrits aux diplômes nationaux de licence, de licence professionnelle et au diplôme universitaire de technologie » compromet gravement le développement de la politique linguistique spécifique qui conditionne l’avenir de l’Alsace et celui des jeunes générations.

L’arrêté de Madame VIDAL qui conditionne la délivrance de l’ensemble des Licences, licences nationales et professionnelles ainsi que des diplômes universitaires de technologies à une certification obligatoire en langue anglaise prévoit en outre que cette certification en langue anglaise fera l’objet « d’une évaluation externe et reconnue au niveau international et par le monde économique », amputant de ce fait les droits généralement reconnus à l’Université.

Cet arrêté imposant à tous nos étudiants de l’enseignement supérieur l’obligation de suivre un enseignement de l’anglais est une atteinte à leur liberté de choix, va à l’encontre de la nécessaire diversité linguistique prônée au sein de l’Union Européenne et viole ouvertementles engagements pris par la France dans le cadre des accords de coopération qui fondent l’approfondissement de l’amitié franco-allemande récemment réaffirmée à Aix-La- Chapelle.

Cet arrêté aura surtout de lourdes sur la mise en œuvre de la politique linguistique poursuivie en Alsace depuis des décennies.

Cette politique linguistique spécifique a pour objectif d’offrir à tout enfant l‘accès au plurilinguisme en s’appuyant sur un enseignement précoce de l’allemand et en allemand à parité horaire dès l’entrée en maternelle et qui se prolonge tout au long de la scolarité en lycée quelle que soit l’option choisie par la famille. 

La généralisation de cette éducation bilingue se heurte depuis des années à l’insuffisance du nombre de maîtres bilingues formés pour enseigner dans le cycle élémentaire et dans le cycle secondaire.

L’entrée en vigueur de cet arrêté rendant obligatoire l’enseignement de l’anglais ne peut qu’amplifier la pénurie de compétence en allemand des étudiants et portera un préjudice inacceptable à la mise en œuvre de la politique linguistique pour l’Alsace qui a fait l’objet d’une convention liant la Région et l’Académie de Strasbourg en 2018.

Cet arrêté, par ses effets, est une nouvelle atteinte à la personnalité de l’Alsace, qui repose sur le renforcement de son assise culturelle passant par une rapide généralisation de l’enseignement bilingue paritaire franco-allemand avec la nécessaire ouverture sur la richesse dialectale. Il nuit gravement à l’ouverture de l’Alsace et à son rayonnement dans l’espace du Rhin Supérieur et porte préjudice à l’avenir de la jeunesse en contrariant son intégration économique sur le marché de l’emploi transfrontalier qui offre du travail à près de 60 000 frontaliers se rendant quotidiennement en Allemagne ou en Suisse. 

Cet arrêté ministériel illustre tragiquement l’incapacité du pouvoir central à prendre en compte les réalités alsaciennes. Il est la résultante de la nouvelle organisation déconcentrée de l’Etat dans le domaine éducatif avec l’instauration du recteur de la région Grand Est et la nomination d’un recteur délégué à l’enseignement supérieur qui siègent à Nancy. Une telle organisation inféode le recteur de Strasbourg et le relègue à un rang de vice-recteur.

Il est urgent de retirer sans délais cet arrêt.

Paul Higi, ancien directeur de l’Éducation et de la Formation au Conseil régional d’Alsace