Environnement

Taxe poids-lourds : une opportunité pour l’Alsace et la décentralisation en France

Après des années de tergiversation, une taxe visant les poids lourds en transit du Nord vers le Sud de l’Europe pourra être mise en place à l’échelle de l’Alsace. Par une ordonnance du 26 mai 2021, le gouvernement a autorisé la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) à mettre en place cette taxe et à en définir la plupart des modalités, que ce soit le montant ou bien les véhicules.

Rappelons que cette mesure a pour objectif de contrebalancer la taxe allemande en vigueur au Pays de Bade, la LKW Maut. En effet, pour traverser la plaine du Rhin supérieur, les transporteurs ont le choix de passer par l’A5 côté allemand, ou bien de prendre la parallèle côté français par l’A35. Or, depuis la mise en place de la LKW Maut, des milliers de camions se reportent chaque jour sur l’A35 pour échapper à la taxe, encombrant encore plus le réseau alsacien déjà très saturé. Il s’agit donc de rééquilibrer les flux de part et d’autre du Rhin.

Une taxe justifiée par la théorie économique

En économie, il existe deux types de taxation. D’une part, la taxation non discriminatoire est adaptée lorsqu’il ne faut pas perturber le fonctionnent des marchés. Il s’agit par exemple de la TVA, qui avec son taux unique pour la plupart des activités, rapporte des fonds à l’Etat sans chercher à modifier les comportements des acteurs. D’autre part, il existe la taxation incitative, donc le but est de modifier le comportement des acteurs afin de corriger des « défaillances », c’est-à-dire les dommages causés à des tiers comme la pollution. La taxe poids-lourds entre dans cette deuxième catégorie. Elle vise à corriger les « externalités négatives » telles que la pollution atmosphérique, les nuisances sonores, le temps perdu dans la congestion, l’accidentologie, ou la dégradation des routes.

Dans cette optique comportementale, en théorie, le montant optimal de la taxe doit être égal au cout total engendré par les dommages. A cet égard, le cadre proposé par l’Etat à la CEA semble a priori assez restrictif, puisque le montant de la contribution doit se limiter de telle sorte que les recettes n’excèdent pas les coûts d’infrastructure routière (exploitation, entretien, etc.). Toutefois, le taux pourra être majoré pour prendre en compte les externalités en matière de pollution. De plus, il pourra aussi être modulé selon les horaires afin de réduire la congestion et fluidifier le trafic. Cette flexibilité sur le niveau de la taxe est intéressante car elle permettra de l’ajuster plus finement à la hauteur des dommages causés.

Quant aux recettes, peu importe leur usage du point de vue de la théorie économique. Du moment que la taxe corrige les effets négatifs, elles peuvent être utilisées à n’importe quel usage d’intérêt public. De ce point de vue, la taxe envisagée est plus restrictive, puisqu’elle doit se cantonner au financement des infrastructures routières et ne peut pas servir à financer d’autres politiques publiques.

Une approche décentralisée bienvenue

Rappelons que l’idée d’une taxe poids-lourds expérimentée en Alsace date de 2005, avant que le gouvernement n’envisage finalement sa généralisation au niveau national ce qui allait causer sa perte avec son abandon en 2013. En effet, si la taxe se justifie au regard de la situation alsacienne très particulière, elle n’est absolument pas adaptée pour la Bretagne qui ne souffre d’aucun report de trafic depuis un autre pays européen. Il est donc assez logique de la mettre en place seulement là où il y a des dommages à corriger. Le gouvernement n’ayant pas voulu régionaliser la taxe à l’époque, il s’est heurté et a fini par capituler face aux bonnets rouges bretons.

C’est donc la création de la CEA qui a ouvert cette possibilité de « taxe régionale », qui pourrait aussi être ouverte à d’autres régions concernées par des problèmes similaires. Si les modalités générales sont encadrées par l’Etat et le droit européen (directive « Eurovignette »), le fait donner un pouvoir fiscal de ce type constitue un réel effort de décentralisation au caractère assez inédit en France. Ce sera donc à la collectivité alsacienne de mettre en place la taxation en l’adaptant aux problèmes spécifiques de son territoire. Outre la garantie d’une meilleure efficacité, l’intérêt d’une gestion de proximité est qu’il est plus aisé d’en assumer la responsabilité auprès des acteurs économiques locaux. Il est en effet essentiel que cela se fasse en concertation avec les transporteurs locaux, afin de ne pas trop les pénaliser.

On notera enfin que la mesure à été confiée à l’Alsace et non pas à la Région Grand Est. Cela est tout à fait logique, étant donné que les deux départements alsaciens sont confrontés à une situation tout à fait particulière, complètement différente de celle de l’Aube ou des Ardennes. S’il pourrait y avoir une idée de taxe similaire sur l’axe du sillon lorrain également encombré, les modalités de la taxe doivent en être différentes. Cela n’aurait donc aucun sens de mettre en place une taxe poids-lourds à l’échelle du Grand Est. Cela n’a pourtant pas empêché la Région Grand Est de tenter de damer le pion à la CEA en proposant à l’Etat de reprendre le projet à sa place dans le but de l’étendre à l’échelle macro-régionale. Cette option insensée, marquée par le jacobinisme « grandestien » qui plaque des mesures identiques partout, a finalement logiquement été rejetée par le gouvernement.

Ce dossier illustre, une fois de plus, que la décentralisation doit se faire à l’échelle cohérente, celui des vrais bassins de vie. Avec cette opportunité, les Alsaciens peuvent démontrer à la France que la gestion publique basée sur un territoire porteur d’identité et d’authenticité est tout à fait compatible avec l’impératif d’efficacité. Mieux encore, il s’agit même un facteur clé de succès. Aux Alsaciens de se montrer à la hauteur des attentes et d’ouvrir enfin la voie vers une décentralisation alliant proximité et efficacité.

Jean-Philippe Atzenhoffer

auteur de : Le Grand Est, une aberration économique, Le Verger Editeur, février 2021

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L’Alsace et le CGO

par François Robert, Président du Théâtre de Truchtersheim, membre d’Alsace Nature et du Club Perspectives Alsaciennes. Article paru dans l’ami hebdo du 2 septembre.lovely-elsa-dit-non-au-gco_2

Madame Wonner est la seule député qui s’oppose frontalement au GCO. Il faut l’en remercier et la féliciter d’oser affronter le rouleau compresseur de Vinci soutenu par une grande partie du monde politique alsacien.
L’autre soir, à la fête du « collectif GCO non merci » à Kolbsheim, madame Wonner fustigeait les députés alsaciens qui d’une part soutiennent la création d’une collectivité alsacienne propre et par ailleurs défendent un projet aussi dévastateur que le GCO.

Faut-il absolument opposer l’Alsace et l’environnement ? Ne peut-on pas être défenseur d’une Alsace sans GCO ?

Nous sommes bien d’accord :

  • Le GCO prend 350 ha de forêts et d’excellentes terres cultivables du Kochersberg.
  • Le construction du GCO a enregistré 7 avis négatif de la part d’ instances officielles. Excusez du peu !
  • Le GCO va polluer encore plus notre pauvre plaine d’Alsace, déjà bien mal en point et coûter très cher.
  • Enfin, officiellement le GCO n’a pas pour but de régler la circulation sur Strasbourg, et ceci très officiellement ! Ce qui veut dire que, après la construction du GCO, nous aurons exactement les mêmes bouchons qu’avant, notamment dans le Kochersberg.
    Le GCO est donc une grosse calamité pour les Alsaciens.

Seulement voilà, la seule chose qui peut encore mettre le GCO en péril, c’est l’instauration de l’écotaxe en Alsace. En effet, la Maut (l’écotaxe allemande) est omniprésente en Allemagne sur les autoroutes et bientôt sur les routes nationales. De ce fait l’ensemble des camions sur l’axe Nord-Sud, s’est déjà reporté, ou va se reporter sur les routes alsaciennes. Elle fera accessoirement l’affaire de Vinci qui va empocher le gros lot avec le péage sur la portion d’autoroute du GCO.

Seule l’écotaxe sur l’axe Nord-Sud alsacien pourra faire revenir les deux mille camions quotidiens sur leur parcours naturel côté allemand et du coup rendre le GCO de Vinci inutile, en tous cas sa rentabilité bien moins évidente !.

Or, il est pratiquement acquis que l’écotaxe ne se fera pas au niveau national. Ni la ministre des transports, ni les grands partis politiques, ni l’Elisée n’ont envie de se brûler les doigts. Tout le monde regrette sa non mise en application mais personne ne veut s’y coller !

Alors, la seule alternative, c’est la création d’une collectivité à statut particulier, c’est à dire la création d’une Alsace avec des compétences particulières, notamment le bilinguisme et les transports. Avec le transfert de la compétence des routes nationales à l’Alsace, celle-ci pourra instaurer l’écotaxe uniquement en Alsace, et éviter ainsi les lenteurs parisiennes et les bonnets rouges de nos amis bretons !

La seule solution pour faire barrage au GCO est locale ! A Paris, tout le monde est décidé à passer outre à toutes les recommandations négatives des organismes consultatifs. Même Nicolas Hulot ne s’était pas mouillé !
Il semble donc particulièrement contreproductif d’opposer les revendications pour une Alsace à statut particulier qui puisse décider de son avenir et en particulier de son infrastructure routière, et d’autre part le combat de citoyens lucides et déterminés contre l’hydre de Vinci et son projet mortifère pour l’Alsace.

François ROBERT