par Jean-Philippe Atzenhoffer, docteur en sciences économiques de l’Université de Strasbourg. 7 avril 2016.
Le mardi 29 mars 2016, le président de la région ACAL présente un plan régional de soutien à l’investissement des communes de moins de 2 500 habitants qui constitue le premier volet du Pacte de ruralité approuvé par le conseil régional en janvier 2016. Concrètement, la région financera plus de 1 000 projets dans les petites communes pour une enveloppe globale de 23 millions d’euros.
Dans cet article, nous analyserons la pertinence de ce plan de soutien aux communes à travers les principes de l’économie publique. Nous constaterons que différentes caractéristiques du plan sont contradictoires avec les critères d’efficacité des aides publiques.
Le plan régional de soutien à l’investissement des communes
Destiné aux communes de moins de 2 500 habitants, soit 93% des communes d’ACAL, le plan prévoit de verser des aides à hauteur de 20% du coût HT des travaux, avec un plafond à 20 000 euros. En affectant 23 millions d’euros à des projets inférieurs à 20 000 euros, on obtient effectivement la prévision de 1 200 projets financés, pour près de 5 000 communes éligibles au dispositif.
D’après la présentation officielle du plan, les projets ciblés viseront à « améliorer la qualité et le cadre de vie des habitants ». Il est également question de « répondre à des besoins non ou insuffisamment couverts, et dont la réalisation ne peut débuter faute de financements publics suffisants ».
Le dispositif vient s’additionner avec le plan de soutien à l’investissement public local initié par l’Etat, dont l’ACAL est dotée de 77 millions d’euros. La majeure partie des fonds sera affectée à un panel très large d’interventions. Par exemple :
- la rénovation thermique des bâtiments publics,
- l’accompagnement à la transition énergétique,
- le développement des énergies renouvelables,
- la mise aux normes des équipements publics,
- le développement d’infrastructures en faveur de la mobilité et de la construction de logements,
- les hébergements et les équipements publics nécessaires du fait de l’accroissement du nombre d’habitants.
Ainsi, diverses opérations pourront être financées à la condition que le projet « participe directement à l’attractivité et au dynamisme du territoire et s’inscrive dans une politique cohérente du type projet de territoire ». Ces termes, très généraux et vagues, montrent l’absence de priorité claire, ce qui laisse la porte ouverte à n’importe quel type de financement.
En conclusion, les plans d’aide à l’investissement de l’Etat et la région ACAL possèdent les caractéristiques suivantes :
- Le cofinancement des projets par de multiples acteurs.
- Le saupoudrage des aides ; des montants faibles attribués à une multitude d’acteurs.
- L’absence de priorités précises et ciblées, ce qui est généralement le cas des dispositifs avec émiettement des aides.
Des plans en contradiction avec les principes de l’économie publique
Le cofinancement de projets par différentes collectivités est souvent critiqué du fait de la complexité engendrée et le manque de transparence dans les choix publics. En microéconomie de l’économie publique, le cofinancement peut néanmoins trouver une justification si un projet génère un impact au-delà des limites de la collectivité : une collectivité supra-communale comme la région pourrait aider un projet si celui-ci génère des effets bénéfiques sur un territoire plus large que celui de la commune. Les économistes parlent dans ce cas d’externalités positives.
Par exemple, la présence d’une médiathèque dans une ville bénéficie également aux habitants des communes environnantes qui ne peuvent pas se doter d’une infrastructure aussi lourde. Il est dans ce cas justifié de cofinancer la médiathèque par une aide d’une plus grande collectivité.
Le problème, c’est que les projets engendrant des externalités au-delà du périmètre communal nécessitent des investissements importants. Au lieu de sélectionner un nombre limité de projets d’envergure, le plan d’aide proposé par la région ACAL pratique au contraire un émiettement de subventions d’un montant très faible. Le saupoudrage est contradictoire avec la volonté affichée de contribuer à « l’attractivité et au dynamisme du territoire », qui nécessite des projets structurants majeurs.
Une autre justification de l’aide aux petites collectivités est de pallier leurs manques de ressources financières. Il est vrai que les communes subissent la baisse des dotations de l’Etat, et que la tendance se poursuivra au moins jusqu’en 2017. L’intervention d’une supra-collectivité est ainsi utile dans le cas où un projet, malgré sa pertinence, est hors de portée des moyens de la commune.
Certes, pour les projets importants qui dépassent les capacités d’autofinancement, les communes peuvent recourir à l’endettement. C’est une pratique courante et normale à partir du moment où la dette est maitrisée. Toutefois, pour les projets plus ambitieux, une subvention d’investissement peut être nécessaire pour qu’ils voient le jour. Pour pallier les manques de ressources financières des communes pour les travaux majeurs, il faut octroyer des aides importantes et ciblées sur les meilleurs projets. Une nouvelle fois, ce n’est pas ce qui a été décidé en misant sur le saupoudrage des aides.
Effet d’aubaine et coût administratif
Le plan d’aide à l’investissement pose également d’autres questions économiques. La région impose que les projets aidés par le plan débutent avant la fin 2016. Au vu des délais administratifs, il faut que les projets soient déjà préparés à ce jour (ou au moins en cours de préparation). Or, s’ils sont déjà préparés, c’est qu’ils sont déjà dans la grande majorité des cas financés sans ce coup de pouce. Dans ces cas, l’aide ne va pas être un élément déclencheur des projets.
Il est donc probable qu’une partie des subventions soient captées par les communes dont le financement des projets est déjà bouclé. C’est ce qu’on appelle un effet d’aubaine, qui profitera aux communes ayant les capacités de lancer des projets, c’est à dire les plus riches. Par conséquent, il est surprenant que la région ACAL annonce que les 23 millions investis engendreront « un effet levier pouvant aller jusqu’à 120 M€ d’investissements publics sur le territoire, générant 500 M€ de travaux ». Un tel effet de levier parait tout à fait irréaliste.
Enfin, au vu du nombre de dossiers financés et du faible montant des subventions, on peut s’interroger sur le coût administratif du dispositif. Des milliers de maires vont remplir des formulaires de demande d’aide avec la description du projet, le détail du coût HT des travaux, le planning de réalisation, le plan de financement. Il est vrai que cela ne représentera pas beaucoup de travail pour les projets déjà financés par ailleurs, mais dans ce cas l’aide n’est pas pertinente. Les coûts administratifs seront également importants du côté de la région, puisqu’il faudra examiner les dossiers et les faire approuver par la Commission Permanente du Conseil Régional.
De plus, le nombre important de dossiers ne rend-il pas illusoire tout examen approfondi sur la qualité des projets ? La pratique du saupoudrage des aides étant souvent associée à des pratiques clientélistes, on peut se demander sur quels critères objectifs il est possible d’arbitrer entre un tel nombre de projets. Si le processus de sélection manque de rigueur, il existe un risque que les ressources soient affectées en fonction des intérêts des conseillers régionaux, qui veilleront à ne pas oublier leur commune d’origine.
Conclusion
En France, le problème de la dispersion des aides et l’absence de priorité se retrouve également au niveau de l’Etat, notamment pour la gestion des Fonds Structurels Européens (selon la Cour des Comptes). Il est vrai qu’un des principes fondamentaux mis en avant par l’Union Européenne pour l’efficacité des aides est la concentration spatiale, c’est-à-dire la réduction du périmètre spatial de la politique régionale afin d’accroitre son efficacité. C’est d’ailleurs probablement en vertu de ce principe que l’Union Européenne a recommandé que – malgré la fusion des régions – les Fonds Structurels restent affectés au niveau des anciennes régions.
Au niveau de l’ACAL, la conception du plan de soutien à l’investissement des communes souffre des mêmes défauts. Il ne correspond pas non plus aux préconisations de l’économie publique. En finançant une multitude de communes, il semble répondre à une logique politique, au détriment de la rationalité économique. Pour être efficaces, ces fonds devraient être utilisés dans un nombre restreint d’infrastructures indispensables au développement économique. Les choix retenus pour attribuer les subventions risquent au contraire d’entrainer un gaspillage de ressources, d’autant plus problématique qu’elles sont rares en période de disette budgétaire.
Jean-Philippe Atzenhoffer
Note : une partie des concepts utilisés vient de l’article académique de Gilbert et Thoenig : cofinancements publics, des pratiques aux réalités, revue d’économie financière 51, p45-78, 1999.