Un virus révélateur

Nous reproduisons ici un remarquable article de Jean-Marie Woehrling qui vient d’être publié dans la revue Land un Sproch d’avril 2020. Nous vous invitons à vous abonner à cette revue de grande qualité si vous le souhaitez.

Ce que nous vivons révèle en effet une crise de civilisation à côté de laquelle nos thématiques alsaciennes, quelle que soit leur légitimité, pourraient paraître quelque peu mesquines, à tort d’ailleurs. Le moment est venu de prendre au mot les diagnostics que l’on fait depuis longtemps sans trop y croire sur les excès de la mondialisation : des sociétés trop interconnectées, trop denses, trop rapides, dans la surchauffe permanente, qui foncent dans une direction sans avenir. Il se peut que de cette grande panne sortira quelque chose de nouveau, mais pour le moment elle suscite également des régressions.


Frontières restaurées

A notre niveau du Rhin Supérieur, la gestion de la crise sanitaire révèle la fragilité de la coopération. Les réactions nationalistes se sont réveillées sous prétexte de lutte contre la propagation du virus. Sans même interroger la pertinence de la mesure, on s’est dépêché de fermer la frontière créant un mur en plein milieu de l’Eurodistrict. Sur le plan strictement épidémiologique, il n’était pas plus justifié de fermer le pont de Kehl que ce l’aurait été de bloquer la circulation au niveau du Landgraben, d’autant que les mesures de confinement étaient plus strictes du côté français que du côté allemand. La fermeture des frontières a aussi bloqué la solidarité au plan médical. Face à la saturation de l’hôpital de Mulhouse, on a envoyé des malades à Brest à un moment où il subsistait nombre de capacités d’accueil dans la région allemande voisine.

Heureusement, Brigitte Klinkert a su trouver les contacts pour obtenir l’accueil d’un certain nombre de malades en Baden-Württemberg. Cela est resté une aide largement symbolique, mais qui a sauvé l’image des relations alsaco-badoises. Cette crise nous a ainsi montré combien il serait nécessaire de renforcer l’intégration sanitaire au sein du Rhin Supérieur. La pandémie a révélé que nos systèmes de santé restent quasi-étanches. Alexis Lehmann avait lancé il y a quelque temps l’idée d’une «Life Valley», une vallée du Rhin supérieur qui ferait de l’intégration dans le domaine de la santé le moteur d’une nouvelle dynamique commune. Lorsque nous serons sortis de la crise, il faudra mettre ce sujet sur la table : plus encore que la culture ou l’économie, c’est la santé qui devrait devenir le sujet pilote de la coopération transfrontalière dans notre région. Le Grand-Est n’est manifestement pas le cadre approprié pour notre gestion sanitaire.


«Life Valley» contre Grand Est

Le virus nous a aussi montré combien peu le Grand Est correspond à une réalité sociale. Pendant toute la première phase de développement de l’épidémie, on entendait partout que le «Grand Est était sévèrement touché». En réalité, les chiffres étaient comparables à ceux du sud ouest de la France dans sept départements sur dix. Seuls les départements alsaciens et la Moselle étaient fortement touchés (voir carte). Le développement de l’épidémie révèle les vraies relations socio-économiques, à savoir un échange particulier aux trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.


Comparaison franco-allemande

Une fois de plus, en bons Alsaciens, nous constatons aussi la différence d’approche entre la France et l’Allemagne : un bien meilleur équipement des hôpitaux allemands en matière de réanimation et des capacités considérables pour procéder à des tests massifs ; des mesures souvent décentralisées permettant une certaine flexibilité, le pragmatisme plutôt que les discours grandiloquents, une plus grande discipline collective. Cela ne doit pas être une occasion de raillerie des institutions de notre pays, mais une façon de mettre en œuvre notre vocation d’intermédiaire entre nos deux pays pour une meilleure compréhension réciproque.


Jean-Marie Woehrling

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