Ne pas confondre chef-lieu et couvre-chef

Par Sandrine Walter, avocat. 2 août 2015.

Couvre-chef, terme générique ou familier pour désigner tout ce qui sert à couvrir la tête.

Certaines cultures traditionnelles, oserais-je dire régionales, lui accorde une importance presque démesurée, tant sa vocation de protection du sommet, du siège de nos pensées et décisions, est valorisée. Le couvre-chef protège donc la tête de la direction. L’analogie est tentante avec la notion de chef-lieu.

Le chef-lieu de la région serait-il donc le siège de la décision, le centre névralgique qui chapeaute la collectivité territoriale qui le reçoit ? « The place to be » comme il est dit dans d’autres grandes régions du monde ?

Il est presque censé de le rêver, ce d’autant plus que Strasbourg a été consacré par LA loi, (en lieu et place d’un classique décret en Conseil d’Etat comme d’habitude et comme pour les autres) comme LA ville devant occuper cette fonction dans la future nouvelle grande région.

Quel bel honneur ! Quelle douce illusion…avec laquelle tente encore de jouer certains de nos édiles locaux ayant vocation à briguer un rôle de chef dans l’élargissement.

Ne nous trompons pas sur l’utilité affichée du chef-lieu de région. Cette coquille vide ne dispose à ce jour d’aucune vocation déterminée ou même déterminable. Cela n’est pas nouveau. La notion de chef-lieu n’a toujours été que purement administrative. La grandiloquence du nom cache habilement l’absence d’intérêt réel de son statut.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, de manière générale, la notion de « chef-lieu » est de nature réglementaire (Décision 99-187, Loi du 6 octobre 1999). Ainsi, le chef lieu permet-il de délimiter une circonscription électorale (par exemple, Décret n° 2004-89 du 22 janvier 2004 désignant deux nouveaux chefs-lieux de circonscriptions électorales pour l’élection des membres du Conseil supérieur des Français de l’étranger).

Il sert également à la définition de la terre d’accueil de quelques structures mineures (par exemple, Arrêté du 17 mars 1982 portant création au chef-lieu de chaque région d’un comité régional de coordination des actions de formations des directions régionales des postes et télécommunications).

Autrement dit, et pour reprendre l’expression de Monsieur René Dosière en commission des lois, le chef-lieu de région aura une « prééminence honorifique ». Pourtant, ils sont nombreux les élus des villes, partout en France, à se battre actuellement pour la gloire de cette désignation comme chef-lieu. Il est vrai qu’ils pourront sans peine la vendre lors des prochaines échéances électorales, le citoyen n’étant pas à même de percevoir l’immense vide de cette dénomination.

En effet, il n’est pas inutile de rappeler que la loi du 16 janvier 2015 ne définit toujours pas la notion de chef-lieu de région, et n’affiche ni ses prérogatives, bien entendu pas ses inconvénients (confer note juridique de Monsieur Jean-Marie WOEHRLING). Quelle immense avancée législative…

Mais au moins sait-on, avec la réglementation actuelle toujours, que « Le préfet de région est le préfet du département où se trouve le chef lieu de la région. » (Article 7 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements)

Le Préfet de Région est, rappelons-le, celui qui « assure le contrôle administratif de la région, de ses établissements publics et des établissements publics interrégionaux qui ont leur siège dans la région. Il veille à l’exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la région. » (Article 4 du même décret de 2004 précité)

Cette ironie du sort n’est pas même source de nouveauté, et donc de pamphlet, puisque Strasbourg abrite d’ores et déjà les services du Préfet de la Région. Comme à l’accoutumée donc, Paris surveillera, depuis Strasbourg, les décisions prises dans le futur hôtel de région. Lequel ne sera vraisemblablement pas situé à Strasbourg, du fait de la Loi à nouveau…(confer « Le nouveau malaise alsacien » de Monsieur Pierre KRETZ)

Point de sectarisme ou de vile vengeance en l’espèce : il est tout à fait compréhensible que les futurs élus originaires de Champagne-Ardenne et de Lorraine, majoritaires en nombre, préfèrent voter pour une commune de leur contrée. Cela pourrait s’appeler du patriotisme local, plus prosaïquement, de la préservation d’intérêts commerciaux territoriaux, ou pire encore, du repli identitaire…

A moins que le mirage ne devienne réalité, si ces mêmes élus d’outre Vosges étaient éblouis par les travaux herculéens décidés à coup de milliers d’euros par Monsieur Philippe RICHERT pour agrandir l’hémicycle strasbourgeois. Politiquement parlant, certains auront-ils peut-être l’envie de croire à des postes de vice-présidence encore chimériques, ou se feront-ils influencer par des promesses électoralistes de comptoir, pour demeurer chef en leur lieu…

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