Etre Alsacien aujourd’hui ?

lusL’association Culture et Bilinguisme d’Alsace et de Moselle et le Club Perspectives Alsaciennes ont collaboré pour sortir un numéro de la revue « Land un Sproch » consacrée au thème : être alsacien aujourd’hui. Durant l’été, nous publierons les contributions des membres du CPA, qui reflètent différentes manières de s’affirmer alsacien aujourd’hui. Comprendre ce que signifie être alsacien, c’est se donner la possibilité d’imaginer ce que nous souhaitons pour l’avenir de l’Alsace. Nous commençons cette série par l’éditorial de Jean-Marie Woerhling, suivi d’une contribution de Jean Faivre.

Editorial de Jean-Marie Woerhling

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La suppression de la Région Alsace a été ressentie comme une perte par beaucoup d’Alsaciens. Mais une perte de quoi ? Que signifie pour eux l’Alsace ? Pourquoi faudrait-il éviter que celle-ci disparaisse ? Quel contenu donner de culture et d’identité régionale ? Quels éléments une Institution Alsace devrait-elle promouvoir ? Qu’est ce que cela signifie aujourd’hui être Alsacien ? Quel sens donner à l’engagement pour l’Alsace ?

Chacun de nous a des éléments de réponse à ces questions mais perçoit aussi la nécessité d’approfondir la réflexion à ce sujet et de trouver les informations nécessaires. Il s’agit aussi de faire un travail de prospective tenant compte de l’évolution de l’Europe et du monde dans lequel l’Alsace est intégrée.

Le dossier de notre revue donne la parole à un certain nombre de personnes qui ont bien voulu apporter des éléments de réponse à cette question.

Celle-ci pouvait bien sur se comprendre de différentes façons : Qu’est ce que l’Alsace, qu’en reste-il et quelle avenir peut-elle avoir ?

Pour notre association, l’Alsace se caractérise comme lieu de rencontre de la culture française et de la culture germanique ; son identité se construit à partir de la combinaison de ces deux éléments compris comme une voie d’accès à l’esprit européen. L’alsaciannité de l’esprit réside dans un esprit de dépassement des monolithismes de tous ordres. Au contraire de l’évolution actuelle, qui tend à la « normalisation nationale » et ne laisse plus à la spécificité alsacienne qu’une dimension touristiquo-folklorique.

Sans cadre institutionnel donnant aux habitants de l’Alsace les pouvoirs de développer cette dimension particulière, celle-ci continuera à s’étioler. Une institution Alsace devrait favoriser la double culture dans tous les domaines, mais une telle orientation ne rencontre guère de soutien. Cependant, a plupart des Alsaciens se sont satisfont de quelques faux-semblants. L’Alsace est en voie de disparition, mais finalement elle n’a que quelques longueurs d’avance sur l’Europe dans son ensemble.

Face à l’étiolement de la personnalité collective de l’Alsace dans un cadre institutionnel qui la nie, il reste à chacun d’entre nous, individuellement et avec d’autres, de trouver les pratiques culturelles et les engagements qui lui permettent de sauvegarder son intégrité.


 Jean Faivre : « L’Alsacien doit redevenir un homme de frontières, inséré à une géographie particulière, se jouant d’elles, puisant dans plusieurs cultures pour construire l’Europe. »

photo Jean faivre

Jean Faivre, étudiant en droit, militant associatif engagé dans la cause régionaliste.

Être Alsacien , c’était avant tout être Elsasser. Avec la chute inexorable de la pratique du dialecte parmi les jeunes générations, l’identité alsacienne devra s’appuyer sur d’autres ressorts et s’exprimer en dehors de la langue. Pour cela, il faudra renouer avec la connaissance de ce qui fait la spécificité de l’Alsacien , c’est-à-dire un homme de frontières, inséré dans une géographie particulière aux allures de carrefour, dépositaire d’une histoire où deux nations s’entrechoquent et fécondent une culture spécifique et irréductible à aucune autre.

J’aimerais tout d’abord dissiper un malentendu : la lutte pour la survie de l’elsasserditsch est indispensable et doit être continuée et amplifiée, mais l’objet de mon propos est d’analyser l’identité alsacienne sous d’autres aspects, pour corroborer l’idée selon laquelle l’Alsace ne possède pas qu’une langue en propre et que l’identité peut se vivre en dehors de la seule langue, fût-elle éminemment importante.

L’Alsacien étant de moins en moins Elsasser, se normalisant et devenant un Français comme les autres sur le plan linguistique, il faudra qu’il s’affirme principalement sur deux plans : historique et géographique.

Sur le plan historique , il devra se réapproprier une Histoire qui lui a été longtemps cachée pour mieux servir les intérêts du pouvoir en place et étouffer les prises de conscience et autres tentatives de révolte. On a interdit de mémoire des alsaciens fidèles à leur patrie et porté au pinacle des hommes ayant creusé sa tombe. Il faudra que l’alsacien plonge des les livres d’histoire écrits du point de vue alsacien et pas édulcorée ou falsifiée par une historiographie soumise au pouvoir dominant.

Du point de vue de la géographie, l’Alsacien doit redevenir un homme de frontières, se jouant d’elles, picorant des idées au-delà de celles-ci, se situant au-dessus des nationalismes étriqués. En cela, il doit se sentir européen mais pas de manière désincarnée, éthérée, mais avec des enracinements concrets qui peuvent être multiples.

C’est à l’Alsacien, demain, de construire l’Europe en la renforçant par le sentiment inculqué par l’Histoire que des frontières barricadées ne peuvent naître que des affrontements mortifères.

Dans cette optique, notre combat ne doit pas être celui de l’ethnicisme. A contrario, il ne s’agit pas non plus de jeter le discrédit sur des mouvements qui visaient avant tout à préserver l’âme alsacienne face aux assauts toujours plus vifs de l’assimilation.

Néanmoins, de nos jours, il s’agit de concilier accueil de l’autre dans la tradition de l’humanisme rhénan en l’intégrant au creuset fécond qu’est l’Alsace avec la préservation de notre alsacianité, Elsassertum.

C’est pour cela qu’Abd Al Malik, enfant du Neuhof, célèbre slameur, portant haut la langue française, défendant des valeurs universalistes, et clamant au su du monde sa qualité d’Alsacien, l’est autant que moi, fils d’une alsacienne du Kochersberg, ayant été conçu et ayant fait mes armes sur notre terre.